L'ÉGALITÉ OU LE SUICIDE DE L'OCCIDENT

Chapitre III L'IMMIGRATION ET L'ARCHÉTYPE IMAGINAIRE DE LA SOCIÉTÉ : RÉALISME OU HUMANISME ?
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
8/2/2018

Prémisse

Le concept d'égalité fait système en matière de philosophie et de sciences politiques depuis les « Lumières historiques ». Il regroupe, sous son couvert, les doctrines des droits de l'homme, de la démocratie et de l’État de droit, de l'humanisme philosophique, du « projet de paix » et, pour terminer, de la « théorie du genre ».

Le but de la présente réflexion est d'en retracer les connections et d'en mettre en valeur les répercussions politiques et culturelles.

Nous donnerons suite à la publication périodique de cet exercice intellectuel, rédigé en 2015, par la soumission à nos lecteurs du troisième chapitre sur :
« L'IMMIGRATION ET L'ARCHÉTYPE IMAGINAIRE DE LA SOCIÉTÉ :
RÉALISME OU HUMANISME ? »

Le premier chapitre a été posté sur le site internet :
http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2018/janvier/l-galit-ou-le-suicide-de-loccident
en date du 22 janvier 2018. 
Le deuxième chapitre a été posté sur le site internet :
http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2018/janvier/l-galit-ou-le-suicide-de-loccident-0
en date du 23 janvier 2018. Les thèmes
successifs apparaîtrons suivant la « table des matières ».



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III. L'IMMIGRATION ET L'ARCHÉTYPE IMAGINAIRE DE LA SOCIÉTÉ :
RÉALISME OU HUMANISME ?
 


« Boat people » contre « Land people ». L'immigration et la révolte qui gronde
Une tendance théocratique pré-westaphalienne
Réalisme ou humanisme ?
Tentative de meurtre de « l'archétype imaginaire de la société »
Identité culturelle, religieuse et raciale
Égalité, Identité, Équité
Égalité, homogénéité, société. Un retour aux concepts
Égalitarisme et créativité
Déclin ou suicide de l'Occident ?
Sur les deux cycles de développement, européen et mondial
Le monde de demain
Décadence et suicide
L'utopie et le réel
Démographie et unité d'action extérieure
La surpopulation à l'âge planétaire


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« Boat people » contre « Land people »
L'immigration et la révolte qui gronde


La race est un concept organique et une force de revanche qui pousse, en Europe, à la subversion de l'ordre établi. Pour les minorités radicales, c'est un concept identitaire et idéologique puissant, car il force à la discrimination entre individus, comme facteur de mobilisation et de combat pour une autre constitution religieuse de la société, pour une autre vérité surnaturelle, islamique et non chrétienne, pour une autre conception de la vie, anti-libérale, anti-humaniste et anti-moderne.

Si la décolonisation a institué le procès armé des inégalités entre colonisateurs et colonisés comme contraires à l'égalité proclamée des Lumières et à l'essence de la civilisation occidentale, l'appel à l'égalité devient le prétexte, aujourd'hui affiché, pour inciter à la violence et remettre en cause l'Occident.

Pour convertir les autres minorités des pays européens à un royaume obscurantiste et meurtrier, le mythe du Califat, la différence morphologique et culturelle, pleinement assumée, renforce et radicalise le rôle des minorités agissantes et le choc des civilisations. Revendiquant la dissolution du concept d’État-Nation, et en refusant la notion d’État et celle de de Nation, le but ultime de la revendication islamique est de dissoudre le cadre politico-territorial hérité du traité de Westphalie (1648). Cela permettrait au monde arabo-musulman de se représenter comme une réalité politique d'avenir et une réalité philosophique universelle possédant une identité historique propre. Il s'agit là du djihadisme ou de l'exercice sacralisé du meurtre au nom de Dieu. Si, l'égalité c'est l'humanisme et la loi, l'inégalité c'est l'état de nature et la guerre sainte. Ainsi la substitution d'une référence nouvelle, l'Islam, à un principe universaliste antérieur, la Chrétienté, est vraie d'abord dans sa dimension civique et politique. En revanche, le racisme ordinaire des populations de souche nourrit les griefs multiples de la vie de tous les jours et alimente les programmes « disciplinateurs » des partis politiques.


Une tendance théocratique pré-westaphalienne

Historiquement, c'est autour d'un système de normes disciplinant la vie collective que se forge un nouvel État ou une nouvelle Communauté. Celle-ci est l'expression du combat contre la modernité, de la part de l’État islamique du Levant, au Proche-Orient comportant un morcellement territorial des anciennes unités politiques, la violation de la souveraineté des peuples, l'exercice du principe d'ingérence permanente dans les affaires d'autres États et de la religion dans la vie privée et publique, bref la rupture générale de la « société mutuelle » des nations et du droit des gens qui s'était instaurée à Münster. Il s'agit là d'un processus historique régressif au sein du monde arabo-musulman et en retour européen. C'est une diversion du cours de l'histoire sous l'effet du religieux. Ainsi, suite aux flux d'immigration est devenu périmé le concept de société moderne tel que nous l'avons connu et a changé par conséquent notre regard sur le présent et sur l'avenir. En effet, le concept de société moderne est assiégé par une mosaïque d'idées, de notions et de doctrines qui le mettent radicalement en question. Cette mosaïque, obstruante et opaque s'appelle désordre, régression, misère ancestrale, opposition de morales et de principes, conflit, Struggle for life. Elle pousse au tribalisme violent et pose « in fine » un dilemme philosophique, comme réponse au déferlement de l'invasion. Le vieux questionnement revient, insistant : que faire ?

  • rejeter à la mer les damnés de la mer et les naufragés des « boat people » sans distinction d'origine et de foi?
  • les repousser vers leurs terres d'origine, et ce par tous les moyens

  • porter secours aux « Land people » envahis, en danger d'identité historique et de survie

    Autrement dit:
  • renoncer à un humanitarisme vide et fictif au nom de la survie

  • accepter une gouvernance mondiale sans contrôle
  • subir le meurtre de « l'archétype imaginaire » des sociétés d'Europe occidentale et en accepter les transformations profondes


Réalisme ou humanisme ?


Au fond du dilemme, une option se dégage, nette et radicale. Réalisme ou Humanisme ? Quel est, dans ces conditions, le dernier mot du salut pour l'Europe ou le mot d'auto-défense qui s'impose?

Le principe du droit privé « Nemo ad impossibilia tenetur » peut-il s'appliquer par ailleurs au droit public ? Un principe contractuel peut-il coller au commerce entre les nations ?


Tentative de meurtre de « l'archétype imaginaire de la société »


Une insurrection latente contre le meurtre de « l'archétype imaginaire » de la société est une réponse possible dans la cathédrale intime de chaque européen, mélange féroce de rage et d'illogisme, qui réveille une prise de conscience tardive au sein des pays européens pour l'atteinte portée à un bien symbolique et unique des pays des terres, en mesure d'enchaîner une révolte absolue.

Nous vivons une période d'insurrection latente, psychologique et métaphysique. C'est une révolte initiatique contre les paradoxes inversés de l'Histoire, le fait colonial inversé et la quête ultime du Graal. Cette révolte latente sera la première révolution post-moderne, une « surprise stratégique » dans la défense de la progéniture naturelle des peuples du continent sur leurs terres ancestrales et contre le fanatisme du Néant, venu de l'invasion extérieure.


Identité culturelle, religieuse et raciale

Avec une immigration de peuplement, sommes-nous confrontés à une identité confisquée et à un humanisme kidnappé ? L'immigration anonyme, massive et imposée, renvoie les vieilles nations européennes et l'Europe elle-même à la question de leur identité historique et de leur personnalité culturelle, bref à l'histoire des vieilles personnes nationales. L’allégeance d'une partie de la population immigrée à la philosophie et à la pratique d'un groupe particulier (communautarisme) est la preuve évidente du refus de l'appartenance républicaine de cet appendice sociale, volontairement étrangère. La différenciation morphologique, raciale et culturelle par rapport à la vieille homogénéité acquise dans les siècles et l'auto-institution des « archétypes imaginaires » de la France, de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne ou encore de l'Italie, a façonné la personnalité des peuples du continent. L'égalité en droit, l'humanisme sans racine, la démocratie universelle, l'idéalisme sans convictions, l'assistance sans nécessité et la démographie hors contrôle, conduisent tout droit au collapse et au suicide de l'Occident ! Cela sera la négation de son histoire et la perversion de son message. Aucune République, Cité ou Empire ne s'est édifié sur l'égalité, mais seulement sur la force, soutenue par la conviction d'une mission ou d'une croisade, impliquant une bataille de l'âme au service d'un idéal. Cet idéal a un caractère sacré, car il parle au nom d'une divinité mythique et jalouse, violemment opposée à toute autre et qui se veut, en tant que telle, exclusive.


Égalité, Identité, Équité

L'égalitariste pense en vue d'une finalité universelle, par humanitarisme interposé. Ce qu'il prône, c'est le bien, la paix et l'idéal, contrairement au fanatique qui demeure indifférent au mal, à la souffrance humaine et aux abus du temps.

Le fanatique du Djihad a une identité parce qu'il a une cause. Il n'existe pas pour lui-même mais pour sa finalité, supérieure et transcendante. Le fanatique, en général, est un révolutionnaire caché et un ascète, car il veut faire correspondre la réalité à ses convictions, par la parole ou par la force. En ce sens, il est un assassin et un terroriste en germe, car le meurtre est pour lui une délivrance et le sacrifice un martyr. Chaque fanatique est unique car il n'a d'égal qu'en sa foi. Égalité et identité s'opposent en tout temps, en tout lieu et en toute situation. L'action dans le monde de la terreur exige un fanatisme des fins et une radicalité des moyens. La condition d'égalité garantit la meilleure posture pour permettre aux criminels de poignarder dans le dos.

En effet, le fanatique agit et pense en vue de l'embuscade et pour son accomplissement ultime, coûte que coûte, sans égard aux victimes.

Le fanatique a une identité, que l'Europe n'a pas. Les Européens sont sceptiques, peu identitaires et en rien fanatiques, puisqu'ils sont égalitaristes, humanitaristes et lâches. Ils ne croient à rien, ni à l'Union, ni à la Patrie. Seul le néant fait encore des adeptes, au nom du vieux démon de toujours, l'anarchie. D'ailleurs, les Européens croient de moins en moins aux nations, sans croire pourtant à l'Europe, une non-Nation !

L’ Europe n'a pas d'identité politique parce qu'elle a renoncé aux passions fortifiantes du combat et au souffle de l'Histoire. Elle croit à la culture, à la raison et à l'argent, des concepts creux et sans âme, sans hiérarchie interne et sans colonne vertébrale. Comment l'Europe peut-elle combattre le fanatisme religieux, sans avoir une religion ? Comment peut-elle gagner contre une identité forte, l'islamisme radical, si elle ne connaît que des identités faibles ? Comment peut-elle agir, sans un dessein, une stratégie et une armée, sans un Pape, un Prince ou un Empereur ? Comment peut-elle jeter à la mer des naufragés, sans vouloir se préserver du naufrage, s'encrer à une idée et assurer son impératif de survie.

L'éveil européen le plus proche sera celui dramatique d'une révolte, d'une insurrection identitaire,
d'une rage et d'une vengeance ! C'est alors qu'existera à nouveau le rêve de l'Europe, celui d'une foi retrouvée, dans la revendication suprême d'exister, pour soi, son avenir, ses gloires et ses peuples. A la misère sociale, institutionnelle et philosophique, l'hypocrisie et le cynisme officiels opposeront à la rage de la révolte, la platitude égalitariste des ajustements du projet accompli, éteint et sans utopie.

L’ Europe n'aura pas mis fin aux massacres des infidèles et des hérétiques parce qu'elle sera de plus en plus ouverte aux naufragés de l'Histoire et aux miséreux des espaces, désertés par la pitié et accrochés jusqu'au bout à une étincelle de lumière et d'espoir. C'est pour stabiliser l'Europe et pour l'adapter à ses fins de conquête qu'Al-Qaïda a promis d'envoyer cinq millions de damnés de la mer, des rescapés des conflits et de Djihadistes, des Chrétiens d'Orient chassés de leurs terres, des hibernateurs du malheur avec des tombeaux pour bateaux et l'enfer pour horizon et pour ciel.

L'âge de l'égalité est terminée, car l'âge des Lumières s'est éteinte.


Égalité, homogénéité, société
Un retour aux concepts


Trois grandes questions sur l'égalité, l'inégalité ou la justice peuvent être élucidée ensemble pour dénombrer le « sens » des propos initiaux.

Le discours ciq fois séculaire sur l'égalité est-il un mal ?

Le plaidoyer sur l'inégalité de nature est-il un bien ?

La justice sociale est-elle une illusion, une supercherie ou un privilège ?

Le principe d'égalité, qui a contredit historiquement toute discrimination et toute hiérarchie s'est accordé au même temps une supériorité morale sur les autres valeurs. Ainsi, ce concept a été forcé à hiérarchiser la réalité intellectuelle et, du même coup humaine, de telle sorte que la réalité sociale reproduit à son tour les inégalités originelles. La thématique de l'émancipation a été longtemps associée à l'égalité et, sous couvert de démocratisation, au régime qui en a incarné à l'extrême les promesses, le socialisme réel. Ce dernier, a créé une hiérarchisation rigide de la société, sans satisfaire aux espoirs des changements annoncés. Vue la difficulté historique d'opérer des distinctions entre inégalités, tolérables et intolérables, le processus d'égalisation des conditions a mis l'accent avec John Rawls sur « l'équité » comme forme de compensation entre réciprocités d'intérêts et de valeurs et cette doctrine a dû accepter la logique de la pluralité des fins et des moyens, autrement dit, l'inégalité du réel et la hiérarchie de cette réalité. Au XIXième siècle, le concept d'égalité s'est commué, grâce à la Révolution industrielle anglaise, en égalitarisme idéologique et en doctrine du progrès social. A l'origine, l'égalitarisme politique et social fut l'expression de la contrainte du raisonnement appliquée à l'évidence de la nature. Il représenta l’irruption de la pensée logico-mathématique dans le domaine des passions, elles-mêmes irréductibles à l'unicité du concept. En effet, cette unicité ne peut recouvrir la multiplicité des formes de vie du monde humain, car le concept d'égalité est, en soi, vide de contenu et sa concrète spécification est toujours arbitraire et irrémédiablement subjective, marquée d'une préférence éthique. Or la doctrine de l'égalité a longtemps renvoyé au concept de société et celle-ci aux rapports sociaux, autrement dit, aux changements de composition et de structure de la société. Le processus de globalisation en cours a semblé dissoudre la référence aux identités nationales comme cadres privilégiés de l'existence humaine.


Égalitarisme et créativité

Ainsi, l'illusion de l'égalisation des conditions mine la dé-symbolisation du monde, favorisant l'émergence d'une conception matérialiste de la vie et la diffusion d'une doctrine utilitariste et managériale de la pensée et de l'action. En fait, l'utilitarisme assigne la réalisation des finalités non à la société ou à la politique, mais à la multitude des actions individuelles à vocation éthique. De surcroît, le projet post-moderne du fait social semble exclure l'instauration d'une « communauté de destin » car celle-ci est tenue ensemble par le « souffle d'un sens » collectif, qu'aucune action de « nation building » ne peut faire naître ou reproduire. La sécularisation du monde induit au fond la disparition de la société et marginalise la survie de l'individualisme moral. L'idéal disparaît et le monde des idées devient relatif et épars. Il se réfugie au sein du monde associatif de la « société civile » qui a perdu le sens faustien du Tragos ou l'intuition cosmique des vieilles communautés religieuses. L'égalitarisme de la société a conduit d'une part au matérialisme et à l'individualisme et de l'autre au communautarisme étranger et hostile, habité par d'autres dieux. Par ailleurs, la disparition du «  sujet » historique, le« peuple-personne » de la modernité a emporté avec elle le récit des grands gestes et le roman social, l'architecture symbolique, la musique chorale et la symphonie. Cette disparition a comporté la mort de l'âme collective et de la métaphysique, puis celle de l'élan religieux et enfin de l'élan vital. Puisque tout élan et toute profondeur sont cosmiques, l'intuition sur l'avenir de l'Occident ne peut être que métaphysique, car une intuition accompagne, dès ses premiers pas, la descente du sublime vers la matière, ou, selon Spengler, la transformation du spirituel en matériel. Ainsi, la transformation de l'élan vital, en critère matérialiste et quantitatif, en tant que principe de pensée et d'action, a toujours besoin d'une idée maîtresse qui embrasse toutes les manifestations d'une époque et régit l'évolution de la société. Dans ce cas, la dimension utilitariste et égalitariste de la société est de type instrumental et non sentimental, servile et non créatif. En conclusion, il ne peut y avoir de vraie créativité dans une époque égalitariste dominée par le matérialisme, par l'esprit de gain et par la recherche dévoyante de l'opportunité des chances , car cette créativité est déliée de l'idéal du beau, du bien et du vrai, totalement gratuits.


Déclin ou suicide de l'Occident ?

L'adoption des idéaux et des principes universels de l'égalité, des droits de l'homme, de la démocratie et du « projet de paix » de la part de l'Europe et plus en général de la part de l'Occident ne permet plus, comme le rappelle H. Kissinger dans « World Order » (2014, Penguin Press), de faire fonctionner le système international selon les deux critères sur lesquelles il s'est organisé jusqu'ici, l'équilibre des forces et le principe de souveraineté. Aujourd'hui, il se définit de manière hybride, comme gouvernance contradictoire, de pratiques décisionnelles et de réunions périodiques des sommets économiques (G7, G8, G20) ou politiques (OSCE, OTAN, ASEAN, OCS) ou comme Conseils européens, organisés par des bureaucrates dépolitisés et sans véritable impact sur la résolution des crises qui se succèdent depuis les guerres de Yougoslavie, marquant une impréparation morale et politique pour la prévention et l'issue de celles-ci. S'achève ainsi une période marquée par la rationalité instrumentale, l'utopie de la raison pure, l'absence de vie intérieure et le vide de conscience historique. Dans le même ordre de considérations, l'identité cosmopolite de l'Union européenne entre en contradiction, dans sa bureaucratisation intégrale de l'existence, avec les loyautés nationales et engendre un sentiment d'impuissance et une dé-légitimation des institutions centrales, qui fait craindre à leur implosion.

L'impréparation aux crises qui se cumulent depuis quinze ans dans l'espace de sécurité oriental et méridional de l'Europe et, en particulier le phénomène migratoire massif de ces derniers mois, constituent la manifestation évidente de l'incapacité de saisir les tendances profondes du système international, régi par la loi du plus fort et par l'anarchie internationale. L'impossible mélange des civilisations et des races en provenance des Suds du monde joue en effet un rôle de plus en plus grand sur le plan des politiques de sécurité et de solidarité, ainsi que sur les paradigmes intellectuels adoptés pour y faire face. Ce nœud groupé de concepts et de phénomènes est la résultante et l'activateur de trois chocs, dans la caisse de résonance vide de la culture occidentale, le choc des civilisations, le choc des asymétries et le boomerang de la complexité.


Sur les deux cycles de développement, européen et mondial

En effet, la phase que nous vivons est celle d'un tournant majeur de l'histoire de l'humanité qui se situe entre deux cycles de développement et d'expansion, européen et mondial. Le cycle européen, spirituel puis matériel, a débuté à l'aube de la Renaissance, puis s'est affirmé définitivement après la guerre de 30 ans avec la paix de Westphalie (1648) et le cycle mondial ou d'expansion globale, en cours, a débuté vers les années 1980.

La phase qui s'est achevée avec la paix de Westphalie a été empreinte, en Europe, d'une configuration des pouvoirs, fondés sur des institutions stables et une sédentarisation des populations réconciliant les deux pouvoirs, civil et religieux, bref, l'âme et la raison. La nouvelle phase d'évolution du genre humain est fondée sur une mondialisation qui doute d'elle-même. C'est une phase qui remet en cause la validité d'une politique libre-échangiste dont le mérite essentiel est le développement du commerce pour le commerce, le déclin des classes moyennes et l'explosion des inégalités économiques et sociales entre pays occidentaux. Une mondialisation dont le projet de création d'une zone d'échanges intégrées, couvrant les deux tiers de l'économie mondiale est basée sur les deux grands partenariats, transatlantique (TTIP) et transpacifique (TPP). Ce projet n'a d'autres buts que de consolider le leardership américain sur l'Europe et de l'affirmer face à la Chine.

Un des effets, et non le moindre, est d'amplifier les migrations afro-eurasiennes, de susciter une urbanisation précaire et chaotique et d'aggraver le déracinement des populations dans les pays d'accueil. Ce processus engendre à nouveau la dissociation de l'âme et de raison. L’État islamique, qui représente une réaction à ce déferlement du matérialisme destructeur, offre une issue utopique à cette scission entre le développement du capitalisme financier et la paupérisation spirituelle et humaine des déshérités. Cette phase nouvelle de l'Histoire humaine sera ainsi caractérisée par une dialectique inhabituelle de rivalités, imposées par la cruauté de la survie et par une profonde instabilité régionale et globale. Elle imprégnera la poétique toute moderne de la complexité et la remise en marche d'une humanité appauvrie et miséreuse.

Dans ces conditions, et du point de vue des régimes politiques, la période actuelle se déploie sous l'apparence de la démocratie, des droits de l'homme, de l’État de droit et de l'humanisme philosophique, reflets lointains des idées des Lumières. Or, le cycle intellectuel qui s'affirme progressivement aura pour terrain cognitif les expériences de l'ordre naturel et de l'individualisme féroce de la survie.

Dans cette situation, le suicide de l'Occident conduira inexorablement à l'incapacité de penser avec lucidité la nouvelle conjoncture historique et à l'application des principes du passé, ceux d'une piété révolue, essentiellement euro-américaine, à cette nouvelle réalité.

Ce tarissement des sources de la pensée et cette application des idées de la raison historique à une situation totalement imprévue conduisent à l'adoption d'une conception humaniste de l'Histoire, contraire aux expériences du passé, aux murailles d'Hadrien ou de l'Empire céleste, dressées pour contenir les barbares.

Ainsi, les paradigmes adoptés pour expliquer le déclin de l'Occident par Spengler et plus tard par Toynbee, fondés sur le recours aux analogies historiques et à la contemporanéité philosophique de l'Histoire sont révolus, compte tenu de la spécificité incomparable des époques analysées. En effet, une des racines de la crise actuelle se niche, d'une part, dans les sources illusoires de l'utopie de l'Occident et dans la soumission politique et morale des Européens vis à vis des Américains et, de l'autre, dans le double cosmopolitisme adopté par les pays de l'Est, en termes d'égalitarisme social et de l'Ouest en matière de citoyenneté et d'égalitarisme démocratique. Le but de fonder par les idées une société homogène et de parvenir à une homogénéisation artificielle et définitive du genre humain a été un échec historique.

L'hétérogénéité, la différence, la spécificité, la fragmentation, le rejet naturel, l'irruption de la violence, la barbarie, l'esprit de destruction et l'attrait pour le chaos originel, seront les nouveaux paradigmes cognitifs permettant d'expliquer le monde humain de demain. Dans l'insurrection souterraine qui monte, tout se passera très vite, comme dans la prise d'assaut d'une forteresse assiégée, risquant d'être conquise par l'absence de « virtú » et par le négationnisme du danger.


Le monde de demain


Ainsi, le monde de demain ne pourra être interprété que par des conceptions radicalement originales car la représentation du système international actuel comporte un cumul de lignes de fragmentation qui excluent l'universalisation de la vision occidentale de l'homme et la conception fonctionnelle de la politique. Cette dernière apparaîtra vidée de passions, de « sens » et de mystique. La lecture de cette fragmentation du monde comportera des États faillis, des logiques de pouvoir sournoises, des zones de violence « originelles », en un mot, un état chaotique et une volonté de survie inégalée face au désordre global et à une guerre de « tous contre tous ». Les images bibliques de Hobbes, celle de Béhémoth, la plus grande et puissante créature du mal et celle du Léviathan, le monstre du chaos primitif, qui participeront au festin des justes à la fin des temps sont, peut être, les vrais symboles de notre temps.

A la longueur des conflits correspond une lenteur des règlements politiques et au pluralisme des acteurs aux prises, un renforcement des régimes politiques autocratiques, dont la fonction essentielle est d'être les garants de la protection des citoyens et de la « paix civile ». Rien n'exclut, dans ces conditions, que s'achève par ailleurs le cycle des régimes démocratiques, comme régimes périssables et fictifs, caractéristiques de sociétés pacifiées, stabilisées et tolérantes, propres des zones tempérées de la planète et en particulier de l' Occident. Un nouvel ordre résultera de cette période dérégulée, au bout de laquelle s'imposera une forme de pouvoir sans pitié et sans limite. Ainsi, la complexité de gestion de surfaces terrestres et maritimes tumultueuses et de conurbations multi-ethniques en révolte quasi-permanente, exigera un développement des formes de contrainte sévères et des préventions orwelliennes, qui limiteront les libertés publiques. Dans cette perspective, la majorité des États seront autocratiques et la tendance à l'élargissement de la démocratie sera inversée par la tendance opposée, comportant une évolution des régimes jadis libéraux, vers des formules d'exception et des États forts. Les perspectives de la civilisation occidentale ne seront plus dictées par la théorie des grands cycles à la Spengler, ni par le passage ou la transmission de la primauté culturelle, scientifique et militaire d'un peuple à l'autre, capables de réinventer spirituellement les fondements d'une civilisation, en lui redonnant son souffle primitif, qui est toujours de l'ordre du religieux et du divin. Des facteurs de break-down (implosion-explosion), aujourd'hui sous-jacents, ne seront pas à exclure dans le cadre d'une posture générale défensive et passéiste de la civilisation occidentale. Cette posture est aggravée par le double phénomène de dépeuplement et d'invasion sub-continentale, qui s’insérera comme une rupture et une mort subite, dans la quatrième grande révolution systémique théorisée par Strausz-Hupé, celle de l'âge planétaire. Cette révolution, débutée au XX siècle et accélérée après la deuxième guerre mondiale avec le processus de décolonisation aujourd’hui achevé, l'émergence d'un tiers et quart monde, est en cours dans les quatre continents et montre bien la chute de l'Europe et le déclin de l’Empire Américain. Ainsi, face à la perte de combativité des peuples occidentaux, la vengeance des parias s'exercera cruellement par la main des damnés, internes et extérieurs, qui soulèveront très haut le poignard de la décapitation de l'Occident. Un meurtre libératoire et un achèvement presque fatal qui tombera sur les épaules d'un univers indifférent.


Décadence et suicide

Le suicide d'une civilisation est l'issue finale du doute sur l'avenir. La décadence, l’irrésistible dessèchement du « sens » et de la religiosité d'une époque qui a rompu sa liaison d'intimité profonde entre la vie ordinaire et la métaphysique. L'incapacité d'une régénération spirituelle et donc d'un espoir de renaissance ouvre la porte du néant. Un dépeuplement s'instaure à partir de la perte du « sens » de l'existence, remplacé par une égalisation fictive entre population de souche et étrangères. Une invasion de substitution sera fatale à l'Europe car celle-ci aura participé volontairement à son propre effondrement, ayant toléré d'abord l'importation de mœurs et de coutumes qui lui sont étrangers et ensuite un mépris de ses lois. Edward Gibbon et plus proche de nous Jim Nelson Black dans son livre intitulé « When Nation Die » ont décrit les tendances qui ont produit la disparition des cités et des Empires du passé.

Depuis l'aube de l'époque moderne, le plus puissant facteur de désagrégation a été l'avènement au pouvoir du nombre, la perte d'importance des élites et, au plan des idées, l'égalitarisme et l'uniformisation intellectuelle qui en découle. L'énumération de ces facteurs n'en sera que mieux connue: la montée de l'anarchie, les divisions internes, l'absence de légitimé des gouvernants, l'irreligiosité et l'immoralité privée et publique, l'affaiblissement de la conscience et de l'esprit civil, le désintérêt pour la politique et la corruption de celle-ci, la bureaucratisation de l'existence, la diffusion du matérialisme et de l’idolâtrie de l'argent, la dévaluation de la vie, (l'euthanasie, avortement, égalisation de genres, mariage homosexuels), le déclin des institutions traditionnelles, la baisse de la fécondité, de l'éducation et de la culture.


L'utopie et le réel

Aujourd'hui, l'irruption de l'étranger, perçu comme citoyen, est l'une des preuves les plus frappantes de l’égarement du réel. La force de l'utopie désoriente et domine sur les désillusions de la « raison ». Dans la plupart des cas, les nations qui ont disparues l'ont été par leur « corruption interne ». La plus déroutante est celle de croire à la loyauté de ceux qui proclament ouvertement la destruction de l'Occident, accusé d'avoir corrompu les Écritures que Dieu avait donné à l'origine aux trois monothéismes. Bien que depuis quatorze siècle l’Islam cherche en vain à conquérir l'Europe, un nouveau siège est porté à celle-ci par le ventre des femmes musulmanes.

L' Europe peut s'attendre au suicide non pas par la qualité des armées adverses mais par la vigueur du sexe des affamés. Ainsi, si le déclin d'Athènes fut imputable pour J. Buckardt au pouvoir grandissant de la démocratie et à la perte de prestige et d'influence des élites, la lutte à outrance, menée par les partisans de l'égalitarisme dans les milieux intellectuels et dans les médias de l'Occident , pour une impossible intégration de l'agora musulmane, a ouvert les portes de l'esprit, au cheval de Troie de l' « ennemi » civilisationnel. Puisque toute civilisation est l’œuvre d'une élite, le moteur de ces élites a été une foi, une religion, un « sens » de la grandeur et de la mission, que l'esprit égalitariste dénigre et ostracise par tous les moyens, et avec toute la force de son sectarisme, ciblé prioritairement sur la société civile. Cette campagne est conduite au nom d'un  cosmopolitisme qui efface les racines identitaires des nations.
Dans ces conditions, la réaction naturelle engendre, où elle le peut, le conservatisme et le « scepticisme ».

La littérature et les arts des époques émergentes sont pleines de ferveur et de foi, idéologique ou religieuse et suscitent des sentiments individuels de fierté, de grâce et de vie intérieure, tandis que les périodes ou les époques de décadence ou de crise sont marquées par le culte  du luxe, de la dissipation et de l'argent, comme mesures universelles de toutes les valeurs et de toutes les démesures. L'âme faustienne qui informe les civilisations montantes est créative, active, dynamique et révoltée, celle des périodes de décadence, pessimiste, extériorisante et marchande. C'est une période de doute qui favorise l'irruption de la barbarie, brutale et vitale.

Le suicide d'une civilisation survient après une conjoncture de chaos et de subversion suivie par une période pendant laquelle la médiocrité des hommes est engluée dans la dépolitisation absolue des bureaucraties. Dans cette période, les révoltes tumultueuses des masses sont encouragées par l'application d'une dépénalisation des crimes par les tribunaux qui appliquent les « normes ordinaires » aux situations quasi-permanentes d'exception. Or la « norme » des situations d'exception doit être elle-même une norme d'exception et un choix civilisationnel. Ce choix est une option d'avenir, car il exprime la conservation du passé contre la révolte sanglante des nouveaux barbares,soulevées envers l'ordre établi. C'est un choix radical et non cosmopolite, national et guère universel. L'égalitarisme représente dans ces cas la mort d'une civilisation et son suicide final, car il sanctionne le triomphe définitif d'une ère de discorde civile et de chaos international.


Démographie et unité d'action extérieure

La loi du nombre joue un rôle fondamental dans la survie d'une civilisation.

En réalité, c'est par l'intermédiaire d'une démographie active que la politique d'un pays agit sur le cours de l'histoire et détermine le sort des nations. Or, la loi du nombre et ses variations sont préoccupantes pour leurs répercussions sur les ressources, les ambitions du pouvoir et la fortune des armes. La démographie est défavorable à l'Europe, même si le nombre des hommes sacrifiés à la puissance des nations et à la grandeur des États,  relève parfois des illusions et des mythes. Elle est déclinante et en hibernation, beaucoup d'auteurs en exagèrent l'ordre de grandeur, par une sorte de falsification intéressée à la constitution d'une justification pour la perversion qu'elle entraîne en matière d'immigration subie. Si la loi du nombre a été un facteur de succès dans les affrontements militaires, la qualité des élites a souvent déterminé le choix d'une stratégie et le cours d'une conquête. De manière générale, c'est la cohésion nationale et la capacité d'action collective qui sont amoindries voir remises en cause par l'hétérogénéité des populations et les désaccords entre les communautés qui la composent. Tout apport étranger ne participe pas à l'esprit du bien public, ni à l'amour des conquêtes culturelles et civiles, ni à la transcendance des origines et des mythes.


La surpopulation à l'âge planétaire

Depuis la moitié du XIXème jusqu'à la moitié du XX, la surpopulation européenne a alimenté l 'émigration vers l'Amérique du Nord puis du Sud, vers les colonies et les empires et a démontré avec éclat la supériorité de la civilisation européenne et en même temps la misère des populations autocthônes.

Au XXIème siècle, les hispaniques de l'Amérique du Nord dépasseront peut-être en nombre les populations anglo-saxonnes et mettront en crise le leadership WASP. En Europe, il en sera de même vis à vis des citoyens de souche en raison des immigrés arabes, turcs, afgans et africains. Les peuples, dont la poussée biologique et vitale dépasse à peine les seuils d'hygiène, de mortalité et de pauvreté minimales, constituent désormais les sources de l'émigration mondiale, affaiblissant les pays d'accueil en raison, surtout, de la non-intégration, de la faible scolarisation et formation, de la marginalité et d'une forme persistante de sous-culture violente.

L’Occident, combat en effet un double conflit, un conflit évident avec soi-même sur la manière de défendre ses propres systèmes de lois et de droits, (la démocratie, la tradition, les Lumières, etc.) et un conflit équivoque, sur la manière de conduire la guerre, insidieuse et ouverte, que mènent le radicalisme et le fondamentalisme islamiques, à l’intérieur et à l’extérieur des sociétés ouvertes et libres, contre son mode de vie et son esprit. La lutte à outrance que ces minorités poursuivent contre les puissances mondiales qui en sont l’expression morale, intellectuelle, scientifique et militaire, les États-Unis et l’Europe, et plus vulgairement les croisés et les juifs, constitue le danger majeur pour l'Occident.