CONJONCTURE PLANÉTAIRE ET ACTEURS GLOBAUX. LES PARADIGMES STRUCTURANTS DE L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL

Interaction des crises sur le plan interne et international (État post-national, régimes post-démocratiques et État d'exception)
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
18/10/2012

INTRODUCTION

Ce texte s'articule en quatre parties.

La première, publiée ci-dessous, présente les caractéristiques de l'environnement stratégique actuelles et la structure capacitaire des puissances globales comparée aux « limites » de l'Union européenne, puissance du statut quo.

La deuxième décrit l'axiomatique des crises en son concept général, en ses aspects internes et internationaux et pour terminer en sa « latence » irruptive et implosive.

La troisième analyse le changement des paradigmes structurants dans l'approche politologique concernant l'État, les régimes politiques et les situations d'exception.
La partie finale est consacrée aux différentes lectures de la souveraineté et aux difficultés théoriques et politiques d'un État souverain européen.

Les deuxième, troisième et quatrième parties de cet article seront publiées ultérieurement.

 

PREMIÈRE PARTIE

 SYSTÈME INTERNATIONAL

ET CONJONCTURE D'HÉSITATION STRATÉGIQUE

 

Le système international immanent traverse un moment d'hésitation entre un multipolarisme tendanciel (USA, UE, Russie, Japon, Inde, Chine, Brésil), plus politique que stratégique et un bipolarisme dissimulé (USA-Chine), lié aux modes d'actions obliques qui renforcent le poids de la puissance chinoise. L'explication du système international par la théorie de l'équilibre multipolaire continue d'assigner aux États-Unis un rôle essentiel, tandis qu'une nouvelle bipolarité porte à préconiser un «condominium global» entre les États-Unis et la Chine.

La raison d'être du moment d'hésitation stratégique actuel a pour objet l'absence de revendication hégémonique et la vision du monde de demain qui demeure indiscernable. Ce moment, par sa nature fuyant, se réfère aux puissances majeures de la planète et principalement aux États-Unis et à la Chine, mais il interpelle également la Russie, l'Europe et l'Alliance Atlantique.

Deux stratégies départagent les acteurs internationaux sur la scène diplomatique; une stratégie défensive, de stabilisation, d'auto-limitation et de prudence vis-à-vis du changement global en ce qui concerne les puissances du status quo et une stratégie offensive, de subversion et de poétique violente pour les États perturbateurs et insatisfaits. La première peut prendre une forme passive et attentiste, l'autre un caractère pro-actif et préemptif.

Cette nouvelle phase de l'évolution du monde impose une lecture de l'avenir et des coordonnées d'action dictées par de nouveaux paradigmes :

  • l'Eurasie à la place de l'Europe ;

  • l'anarchie internationale au lieu de l'intégration ;

  • la définition des intérêts vitaux à la place d'une idéologisation des valeurs ;

  • le passage d'une « logique de négociation et de compromis» entre États européens, à une phase d'équilibres de compétition

  • une subordination de multilateralisme à la multipolarité et du « soft » au « hard » power

  • une stratégie de « containment » du Chung Kuô en Extrême-Orient et donc le duel du siècle entre USA et Chine, accompagné d'une reconfiguration stratégique en Asie du Sud-Est.

Cette lectures sytémique oriente ainsi la lecture de la scène planétaire vers une distinction plus nette entre pôles de puissance mondiaux et intérêts de l'Union européenne au long terme. L'avenir de l'Union peut être abordé de deux manières :

  • par une approche normative et par l'identification des nouveaux dangers et des nouvelles menaces

  • par une approche institutionnelle, par l'amélioration du système de décision et du fonctionnement des Institutions européennes.

L'EUROPE ET LES MÉTAMORPHOSES DU MONDE

En ce qui concerne l'Europe, celle-ci a élaboré depuis 1945 une triple stratégie d'insertion dans la bipolarité de la Guerre Froide consistant à :

  • survivre, face aux « Supergrands » et au risque d'un conflit nucléaire sur le théâtre central, par la quête d'une nouvelle morale internationale et la recherche de la stabilité par la paix ;

  • fonder la paix par la loi, en s'appuyant sur l'imperfection essentielle du droit international et sur des éléments de modération d'ordre juridique ;

  • aller au-delà de la politique de puissance et des rapports de force purs, en surmontant l'équivoque de la souveraineté par une fédération pacifiée d'États.

Soixante-cinq ans après, l'Europe a-t-elle réussi ce grand pari historique ? C'est l'interrogation qui préside à la question, politique : « Qu'est-ce qu'aujourd'hui l'Union européenne? Le pari prospectif de 1945 a-t-il été gagné? »

 

QU'EST-CE QUE L'UNION EUROPÉENNE ?

Commençons par l'Europe et l'Union européenne. Si l'Europe est devenue l'isthme occidental du Rimland eurasien, inscrite dans la politique planétaire, l'Union est un artefact et un objet indéfini soumis à l’usure de la dépolitisation et à l’émergence d’une société mondiale, enfantée par l’économie globale. Perméable au terrorisme et à l’immigration ainsi qu'à la rivalité de pouvoirs mondiaux classiques, virtuellement hostiles, son risque existentiel est constitué par sa dépendance de paradigmes désuets :

  • la division persistante et la focalisation sur l'espace européen au lieu de l'espace mondial ;

  • le constructivisme rationaliste et le pessimisme moral au lieu et place du réalisme offensif ;

  • la relativisation de l'ennemi et la délimitation extérieure de la guerre et du conflit.

L'extension progressive des conditions de sécurité de l'Eurasie à la scène planétaire est dominée par une série d'équations sans maîtrise évidente :

  • L'accroissement du degré d'hétérogénéité des conceptions politiques, militaires et civilisationnelles, internes et extérieures

  • La multiplication des centres de décision autonomes, étatiques, subétatiques et transnationaux, en y incluant l'autonomisation de la sphère de la finance, comme régulateur à risque des politiques étatiques

Par dessus tout, deux cultures s'opposent : la culture dépolitisée de la « gouvernance » et du normativisme fonctionnaliste et la culture classique, décisionniste et souverainiste de la « Balance of Power », reflet de deux procès, celui de la modernité Wesphaliénne et Stato-nationale, qui est loin d'être mort, et celui de l'interdépendance globale et de la post-modernité, qui prétend la remplacer. L'une, réaliste, parle à l'Histoire et à la grande stratégie, l'autre, idéaliste et constructiviste, à l'économie, aux sociétés civiles et aux figures fictives des citoyens. L'Europe intégrationniste est en crise, parce qu'elle n'a pas sa place ni dans une logique, ni dans l'autre,. Elle subit une crise de gouvernance sans disposer d'un modèle social viable et accepte une carence de leadership sans opposer une idée forte d'ordre international praticable.

Les conditions d'exercice de la coopération internationale, inspirée de la « bonne gouvernance » et de l'idéologie multilatéraliste dominante, sapent les bases des trois piliers du système international classique :

  • celui de la neutralité de l'État, qui concerne les conflits de religion et d'idées et plus loin les régimes politiques

  • celui de la ''légitimité'' politique, qui n'est pas seulement moderne mais également traditionnelle ou mixte

  • celui de la souveraineté étatique et de l'autodétermination des peuples à disposer d'eux-mêmes, à faire sécession ou encore à autoriser la communauté internationale à proclamer un droit d'ingérence dans les affaires intérieures d'un autre État, de sorte que la conception de la « souveraineté » devient, d'absolue, conditionnelle.

Dans la conjoncture politique actuelle, la plupart des déterminismes sont d'ordre mondial et relèvent d'une pluralité d'acteurs en rivalité et compétition qui ne sont plus hiérarchisées par un modèle de conduite prédominant et à caractère hégémonique. L'impératif existentiel de l'Union est dans le choix entre le réalisme hiérarchique d'un directoire responsable composé par l'Allemagne et par la France et l'utopisme d'un solidarisme faible, composé d'autres Etats-membres intermédiaires ou mineurs. Le dilemme est cruel: union politique ou lente dislocation institutionnelle et sociale?

L'ordre planétaire d'aujourd'hui n'est plus celui de l'immédiat après guerre. Le système de la multipolarité évolue vers une dislocation politique des continents et est marqué par le retour des grands États continentaux sur le devant de la scène du monde et donc par la logique d'une paix d'équilibre, fondée sur des relations asymétriques. Celles-ci ne comportent cependant pas, et pour l'heure, l'assujettissement des acteurs ou des pôles à une autorité supérieure prédominante et sont marqués, provisoirement, par une vide hégémonique.

Ainsi, l'organisation régionale d'une paix européenne fédérative douée d'un directoire dynamique devrait s'imposer à long terme mais sur une base ou Bismarckienne qui n'a pas besoin d'être écrite, à la manière du « jus publicum europaeum », car ce qui compte c'est que ses règles soient appliquées et tenues pour légitimes.

Force est de constater, au sein du concert européen, que les puissances régionales majeures, France, Allemagne ou Grande Bretagne, n'entendent pas mettre un terme à leur compétition et n'acceptent pas d'y substituer une réponse de pure coopération ou de solidarité effective.

Elles voudraient y exercer une coordination régulée, sous l'autorité d'un « Vrai » gouvernement de l'Union Européenne soit-il de la Cour de Justice du Luxembourg ou la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe. Or ceux-ci ne peuvent s'imposer aux États car leur autorité ne peut être supérieure à la juridiction politique de ceux-là, ni en ce qui concerne les grandes orientations économiques, ni pour ce qui est des grandes ambitions politiques.

En ce sens, ces « Vrais » gouvernements ne pourront juger des comportements politiques des pays membres, par leur nature insyndicables et discrétionnaires. Les États sont supérieurs à la loi commune et au droit associatif ou fédératif. L'ensemble européen n'est pas proprement fédératif mais associatif et contractuel. Dans ce cadre, un directoire est nécessaire afin d'éviter les mécanismes purement juridiques de sanction et de ce fait un gouvernement des juges. En effet, le directoire européen ne peut être qu'oligarchique et refléter des relations de puissance déjà établies et cependant en devenir.

 

L'INVERSION DES PARADIGMES ET LE RETOUR DES ÉTATS

Le retour aux États en Europe et dans le monde est dû au fait que nous vivons des temps où l'essentiel est en jeu. Nous vivons des temps stratégiques, des temps de survie. Ainsi le retour aux États c'est d'abord le retour des vrais sujets de l'Histoire car l'Agenda mondial exige des choix d'orientation ou encore de stratégies indirectes. Ces choix ont pour but de faire effondrer l'adversaire par une manœuvre enveloppante et, si possible de l'intérieur. Deux cas exemplaires: l'URSS en 1991 et l'Union Européenne entre 2009 et 2012.

Au cœur de la mondialisation et de la sphère de l'échange, nous assistons au démantèlement des souverainetés et des identités, ce qui suscite le maintien (défensif) des acquis politiques (protection, sécurité, indépendance, bien publics).

Face à l'épuisement des ressources, à la redistribution de la puissance, aux immigrations de peuplement constituant de nouveaux sujets stratégiques et hostiles, le besoin d'un acteur identitaire fort et d'une Europe politique et pro-active deviennent des enjeux existentiels.

Le besoin d'un leadership et d'une hiérarchie de pouvoir, au dessus des actuelles institutions, se dessine également comme un impératif de toute conception d'avenir.

 

SÉCURITÉ ET ALLIANCE

Si la sécurité est le concept central de tout système international, la recherche de l'équilibre des forces commande à la politique d'alliance en vu de la prévention des conflits. Or le moyen de dissuader d'un conflit ou d'accroître les forces d'une coalition reste l'alliance. Préparer ou prévenir la guerre est oeuvre de diplomatie, tout autant que de stratégie et de vision, de grande politique. C'est surtout la résultante d'une option politique ou d'une grande ambition historique visant à préserver l'équilibre et à éviter à certains acteurs de glisser vers une neutralité malveillante ou défavorable. L'alliance est le moyen le plus efficace pour étendre ou globaliser l'équilibre des forces à d'autres sous-systèmes et à lier plusieurs théâtres par la méthode dite du linkage.

 

LES ÉLÉMENTS DE LA PUISSANCE

Les éléments de la puissance visent directement ou indirectement la force militaire et donc la capacité globale d’action d’une unité politique. Plusieurs auteurs, Spykman, Morgenthau, Steinmer, Fischer etc., se sont penchés sur l’énumération des composantes de la puissance classique au XXe siècle : territoire, frontières, matières premières, population, moyens, homogénéité ethnique, développement, finance, intégration sociale, capacité d’action, stabilité politique et esprit national. Les éléments homogènes de ces classifications ne doivent pas faire oublier les éléments immatériels de la puissance et donc le caractère approximatif de celle-ci.

 

LA NATION DE PUISSANCE ET SA TRANSFORMATION

La transition de la puissance mondiale classique à la puissance globale date de la course aux armements relancée par l’Administration Reagan. Ex post, on peut définir cette transformation comme le passage graduel de la puissance matérielle à la puissance immatérielle, de la puissance spécialisée à la puissance en réseau. La première est dans la plupart des cas une puissance régionale, géographiquement localisée, capable de faire face seule et simultanément à de grands conflits sur plusieurs fronts, la deuxième une puissance déspatialisée, présente en permanence et globalement sur tous les théâtres et sur tous les réseaux, économiques, technologiques, financiers, culturels et médiatiques. Cette présence permet, en situation de crise et de tension, le blocus, l’isolement et la quarantaine de la puissance perturbatrice ou hors la loi, cependant que l’absence de présence sur un ou plusieurs théâtres ou réseaux indique une carence structurelle et une faiblesse opérationnelle qui affectent sensiblement la capacité de manœuvre stratégique des acteurs en compétition.

 

L'INTELLIGENCE, LA SURVEILLANCE STRATÉGIQUE

ET LA RAMIFICATION SPATIALE DU POUVOIR D'ÉTAT

La puissance globale est en même temps tridimensionnelle et « hors limite». Elle est terrestre, maritime et spatiale. Le réseau satellitaire est essentiel dans la collecte des informations géopolitiques et stratégiques vitales. Ce réseau est destiné à observer la morphologie du monde et ses transformations, il capte et surveille le plasma immatériel de la communication humaine et constitue la ramification spatiale et, dans le même temps, l’épine dorsale du pouvoir centralisé de l’État. Il constitue l’outil essentiel de planification et de décision politique, géopolitique et stratégique. Au plan diplomatique, le principe directeur de la gestion du monde comme outil de la puissance globale et, en même temps, comme technique de représentation des antagonismes et des enjeux se fait valoir par le linkage horizontal ou vertical.

 

LES ATTRIBUTS DE LA PUISSANCE GLOBALE

LE LINKAGE, LA DIPLOMATIE TOTALE, "L'ALLIANCE GLOBALE",

LA GLOBALISATION MÉDIATIQUE ET LA "GUERRE HORS LIMITE"

L’attribut le plus important de la puissance globale est le linkage, lui-même lié à la diplomatie totale.

 

Les principes du linkage

Les principes qui l’explicitent se retrouvent dans le premier rapport annuel du président R. Nixon au Congrès des États-Unis sur la politique étrangère de 1972 et dans les Mémoires de son Secrétaire d’État, Mr H. Kissinger. « Les questions politiques sont liées aux questions stratégiques et les événements politiques dans une partie du monde peuvent avoir des conséquences de grande portée sur l’évolution politique dans d’autres parties du globe. » Dans ses Mémoires, Kissinger présente le linkage comme l’un des principes directeurs qui auraient dû orienter la politique américaine. Ce principe fixait une liaison entre le linkage stratégique, comme interdépendance de politiques et de problèmes particuliers et le linkage tactique, comme technique de négociation, centrée sur l’obtention de concessions de la part des adversaires partenaires.

La diplomatie totale ou le linkage accompli

L’émergence d’une « diplomatie totale » dans un système international hétérogène a pour but de gérer des situations éclatées et dissemblables. Elle n’est possible que pour des pays présents sur toute la hiérarchie des réseaux et sur tous les théâtres géopolitiques. Un attribut central de ce type de puissance est la globalisation médiatique des relations internationales.

L'alliance globale

Il ne peut y avoir de puissance globale sans un instrument d’action politique et militaire à rayon planétaire. Depuis le sommet de Riga des 27 et 28 novembre 2006, le seul instrument de ce type est l’Alliance atlantique. L’ambiguïté de la notion d’alliance globale repose sur l’intime connexion de l’évolution constatée des conflits symétriques et asymétriques et de la nécessaire fonction de nation building, car la phase militaire des conflits de haute intensité s’est raccourcie, tandis que la fonction civile de pacification, de stabilisation et de reconstruction s’est étendue dans le temps.

La globalisation médiatique et ses deux temporalités stratégiques

La globalisation médiatique désigne la conjugaison orientée des images, des représentations mentales et de schémas cognitifs. Elle opère la fusion de trois pouvoirs : d’information, de désinformation et d’intoxication et suscite une tension provoquant sur le terrain une relance de la violence, du chantage et de l’intimidation, et, au niveau médiatique, une stratégie de combat indirect, fondée sur l’intention politique, la réaction émotionnelle et les passions. Les alliances de l’Occident et la cohésion des sociétés en guerre en sont fragilisées. Ce nouveau paradigme perceptuel structure la primauté culturelle et technique de l’Occident et simultanément un altermondialisme transversal, réactif et violent. D’une part il propose un modèle culturel et sociétal, de l’autre il favorise à l’échelle étatique et politique l’émergence d’un directoire informel anti-occidental. Il oppose un cartel dominant à un front tiers-mondiste qui prétend représenter les pays émergeants, en donnant forme à un embryon de multipolarisme subalterne.

Le paradigme médiatique de la puissance globale instaure la coexistence de deux temporalités stratégiques, celle du réel et celle du perceptuel. Si le pouvoir médiatique exalte davantage la globalisation de l’échange et l’irrévocable métamorphose du monde, ce même pouvoir parvient à créer une interopérabilité des médias, du cyberespace et de la blogosphère.

Inversion de la symétrie

Axe numérique - Axe des combats

L’essaimage des images (swarming ou attaque venant de plusieurs directions) est susceptible de produire une « inversion de l’asymétrie », de telle sorte que l’acteur qui est sur la défensive sur le terrain, se montre à l’offensive sur les écrans et cela prouve l’existence de deux champs stratégiques (celui du réel et celui du perceptuel). Dans l’autonomisation progressive du champ d’action médiatique, le perceptuel est global et le réel est local. L’axe numérique est celui des opinions-mondes, tandis que l’axe des combats est celui des forces engagées. La guerre psychologique mobilisant des cyberactivistes et des fanatiques, intellectuellement engagés, mais hors du terrain, déséquilibre le rapport des forces morales à l’avantage d’un camp.

En conclusion, l’information et la communication, par leur nature globales, deviennent des enjeux stratégiques primordiaux et sont influencées de plus en plus par la concurrence entre les médias, par la politique de prise de contrôle politique, organisationnelle et budgétaire des médias des principales puissances. L’écran transforme le drame des forces en horreur morale des opinions, face à une planète chagrinée. Nous assistons ici à un dédoublement de l’« espace » et du « temps stratégique » avec des effets non négligeables sur l’« épreuve de force » et sur l’« épreuve de volonté ». En effet, la confrontation violente et la bataille ont évolué de manière interactive depuis la première guerre de Golfe modifiant l’écart originel entre les deux et transformant les stratégies d’influence sur les opinions et sur les systèmes de décisions politiques.

Le linkage vertical

Le réseau des cryptocapacités satellitaires

Aucun système de décision de politique globale ne peut exister sans un réseau d’informations et d’intelligence à rayon planétaire. Pour que le système de décision recouvre l’espace mondial, ses moyens d’action doivent être globaux.

Ainsi, à la capacité de détection, d’information et de décryptage en réseau (linkage informationnel horizontal) doit correspondre à un système de filtrage et d’interprétation axé sur la « verticale du pouvoir » (linkage décisionnel vertical).

Nouvelles menaces, nouvelles vulnérabilités

Les menaces balistiques et cybernétiques

Le bouclier anti-missiles (BAM) et le contexte global de sécurité

    Dans un environnement international caractérisé par la prolifération des armes de destruction massive et des technologies relatives à leurs vecteurs, deux séries de menaces, aux conséquences déséquilibrantes, sont à prendre en considération :

  • la première est la menace balistique, relançant la mise au point de systèmes antimissiles et, en retour, un abaissement du seuil de la dissuasion par la reprise de la course aux armements

  • la deuxième est la menace informatique, préfigurant les cyber-conflits de demain, menace dont les aspects saillants sont d'attaquer les systèmes d’information de l’adversaire dans le but de :

    - provoquer une intrusion dans leurs infrastructures, à caractère confidentiel ou classifié, afin de les pirater

    - détruire les serveurs ennemis, de manière préventive ou en représailles.

La source fondamentale des menaces et des vulnérabilités informatiques est la guerre électronique. Le leader incontesté dans ce type d’exercice est la Chine. Cent soixante millions d’utilisateurs, strictement contrôlés par l’État utilisent Internet, dont le régime se sert comme outil de propagande, d’information et de désinformation. Depuis 2000, la « Hackers Union of China » échange des tirs groupés contre d’autres groupes ou cibles étrangers. Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, il n’y a pas de pratique sans théorie, ni de théorie sans doctrine. En effet, l’analyse des nouvelles formes d’actions offensives dans le domaine des guerres de demain est la résultante d’une intéressante étude chinoise : « La guerre hors limites ». Dès lors, on peut imaginer des scénarios de conflits à plusieurs dimensions.

Guerres hypothétiques et hyperboliques

Au seuil de la prochaine guerre mondiale, trois types de menaces se transformeront en attaques immédiates, simultanées et préventives :

  • les menaces cybernétiques ;

  • balistico-satellitaires et terroristes ;

  • les attaques climatiques et sous-marines

La coupure des câbles optiques sub-océaniques interrompra les communications et déconnectera les grands plateaux continentaux.

La guerre pourra alors commencer.

Ainsi, le contexte mondial dans lequel s’inscrira toute attaque de grande ampleur conjuguera les antagonismes rationnels des États, les rivalités hégémoniques des acteurs majeurs de la globalisation, les actions de représailles sub-étatiques et les stratégies géopolitiques mises en œuvre par les actants exotiques. La compétition économique sera amplifiée par des formes renouvelées de mésententes idéologiques, mêlées à des actes de nihilisme chaotique.

Des « chocs des civilisations », traditionnels ou extrémistes, doublés de nouveaux conflits urbains, intracommunautaires et ethniques, s’ajouteront à ces scénarios hyperboliques.

À la lumière de ces hypothèses, les menaces apparaitront pour ce qu’elles sont : des conflits non déclarés et des dangers imminents, à potentiel de létalité élevée. La « menace informatique » y jouera un rôle soft et impalpable, comme aveu implicite d’une paralysie, des rythmes effrénés des appareils économiques et sociétaux, lancés dans les dynamiques des interdépendances. L’usage offensif des réseaux informatiques mondiaux a été codifié par un rapport, « La guerre off-limits » des colonels chinois Quao Liang et Wang Xiangsui en 1999. L’énoncé essentiel de ce rapport se résume au concept de « guerre sans restrictions » ou encore « sans normes ».

La guerre "hors limite"

La tactique de celle-ci consiste à affaiblir les capacités de résistance et d’élan d’un pays, à diviser les opinions des acteurs aux prises et celles des acteurs non engagés. La « guerre hors limite» est la guerre menée par le faible contre le fort, hors du conflit direct, pour l’acquisition de l’opinion, du « moral » des forces et de la cohésion des belligérants.

Ainsi, l’enjeu des conflits se déplace vers la conquête des opinions et vers l’épreuve des volontés. Puisque le terrain du symbolique structure l’imaginaire des sociétés de l’information, la désinformation et l’intoxication collective se canalisent sur les médias et sur le web, mettant en avant les « enjeux » des conflits. Ceux-ci se signalent par une étroite relation entre :

  • la politique et l’anticipation. L’autonomisation croissante de la fonction stratégique et celle de l’anticipation (préemption) érigent en maîtrise du monde la stratégie globale et intégrale et la politique pensée, calculée et conduite en milieu conflictuel

  • la politique et la légitimité. Nous touchons à une mutation-clé dans l’anthropologie du politique, bref, à une autre perception de la notion de l’ennemi. L’adéquation de la décision aux diverses temporalités de l’action historique et aux différentes scansions du psychisme (monde moderne/monde traditionnel) engendre un écart de substance culturelle dans les conceptions du pouvoir et dans celle de la légitimité. Cela impose une politique de la différence et donc de l’hostilité, bref, une anthropologie adaptée du politique et de la politique.

 

LA DOMINANCE STRATÉGIQUE ET LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE L'ESPACE

MISSILES ET ANTIMISSILES

RECONNAISSANCE OPTIQUE, TÉLÉDETECTION ET ALERTE PRÉCOCE

L’arsenalisation de l’espace se poursuit entre puissances globales, en vue des futures guerres stratosphériques. Le développement qualitatif des forces balistiques et nucléaires chez les adversaires virtuels d’un échange atomique est constant. D’une part, il s’agit d’adapter les systèmes de lancement et de frappe aux sophistications de la technique, d’autre part, d’être instantanément prêts à désarmer l’autre ou les autres.

La constitution d’un réseau d’armes en orbite, dissimulées et donc secrètes, activables en cas de crise, est bel et bien un projet d’étude au sein de certains états-majors et guère une hypothèse de technologie militaire ou de débat stratégique. L’utilisation de l’énergie cinétique pour des interceptions à grande vitesse et des tirs au sol contre des cibles spatiales en direct ascent ou à « mi-course » d’un missile balistique adverse est la méthode adoptée dans la technique du hit to kill.

Ainsi, toute diplomatie visant à éviter ou à limiter par des traités l’arsenalisation de l’espace peut décourager une tendance au contrôle en acte, qui est un moyen pour les puissances moyennes de ne pas accroître leurs gaps capacitaire et technologique et conserver des marges de manœuvre en situation de crise.

La course aux armements fait partie intégrante d’une politique de primauté et ne peut refuser la pertinence de ces efforts si un membre quelconque de la communauté internationale se dote de capacités de parade et de représailles inacceptables. Toute nouvelle avancée en matière de missiles antimissiles ou de systèmes de détection et d’alerte avancée a pour effet d’affaiblir la dissuasion puisqu’elle donne une prime à l’attaquant. La préservation de l’arsenal militaire des puissances globales, assurée par la survie des possibilités d’une « deuxième frappe » imparable, passe par la limitation de boucliers anti-missiles autour de certains sites « vitaux », pour assurer la crédibilité de l’« équilibre de la terreur ».

Politiquement et en vue des allégeances et des alignements politiques des pays de la planète, les nouveaux systèmes de détection et les formes de coordination centralisées et intégrées des systèmes de commandement, justifient l’observation selon laquelle un « système de défense » et de protection avancée est un « système d’intégration politique » et de « coordination stratégique », créateur de subordination et de dépendances auprès des alliés de la puissance dominante, en même temps qu’il se configure comme un système d’« insularisation », d’« encerclement », et donc de containment pour les adversaires ou les rivaux.

La puissance globale est celle qui est dotée en conclusion d’un déploiement centralisé et intégré des missiles antimissiles « de zone » et « de théâtre ».

 

DE LA PUISSANCE MONDIALE CLASSIQUE À LA PUISSANCE GLOBALE

Commençons par la définition de la notion de puissance. La puissance (power ou Macht) se distingue de la force (strenght ou Kraft). La puissance est désignée comme la capacité de faire, de produire ou de détruire, et cette définition porte à la distinction entre « puissance défensive » et « puissance offensive », autrement dit, dans un cas, à la capacité d’un individu ou d’une collectivité de ne pas se laisser imposer une volonté, ou alors de l’imposer aux autres.

Dans le domaine des relations internationales, la force actuelle, immédiatement disponible en cas de conflit, se rapproche de la notion de force militaire utilisable sans alerte préalable. La puissance, par contre, est un ensemble de ressources qui correspondent à un potentiel de mobilisation. En ce qui concerne la notion de pouvoir. Elle concerne la définition « d'autorité » de décision, de délibération et de volonté largement orientée vers un but politique.

 

LA PRÉEMPTIVE STRATEGY

A l'extérieur et dans les relations internationales, la survie et la sécurité relèvent de la logique existentielle propre à l’état de nature et guère d'une « communauté policée ». Or l'identification de la menace extérieure relève d’un état latent d’hostilité (condition vérifiable) et de la « nature » politique de l’adversaire (psychologie du décideur, régime politique, enjeux géostratégiques, etc.) et exige un État de surveillance stratégique particulière et donc une « démocratie éveillée ou armée ».

L'activation extérieure de la menace n'est pas sans liaison avec la « cohésion interne », vu le caractère composite ou « multiculturel » des « sociétés occidentales » modernes. Les choix des fins et la détermination des moyens, dans toute politique active à l’échelle internationale ne peuvent être dissociés de la considération que la guerre n’est pas un acte isolé et que celle-ci est marquée par l’expression culturelle et sociétale de l’acteur qui la mène et donc par le sens de la mission que cet acteur poursuit à l’échelle historique, par la vision du monde qu’il prétend construire et par l'homogénéité politique et morale du peuple.

 

SUR LA SURPRISE STRATÉGIQUE

La « surprise stratégique » équivaut à une révélation de l’histoire, à une inconnue, et à un concours de circonstances sans parades.

Elle découle le plus souvent de l’avancée d’une technique ou d’une arme, d’un système d’emploi, d’une doctrine militaire ou de la percée de plusieurs facteurs conjoints, planifiés et voulus. Dans un système planétaire à forte complexité, régionale et globale, la « surprise » est plus marquée politiquement et repose essentiellement sur le jeu de facteurs géopolitiques, sur une inversion des alliances établies, sur une liaison réussie de forces militaires adverses ou, encore, sur l’activation d’actants irréguliers et transnationaux, faisant recours à des formes de violence inédites. Des insurrections internes aux acteurs aux prises, suscitées par le pluralisme culturel et l’hétérogénéité sociale y contribuent également, bien que la surprise, au sens propre, tire ses raisons d’être de la combinaison de plusieurs facteurs réunis et orientés.

Dans un système planétaire, l’interaction multi-théâtre (linkage horizontal) sera l’élément-clé de la menace globale pour tous les acteurs du système, en raison :

  • de l’activation soudaine de plusieurs zones de crise et de leur fonction conflictuelle ;

  • de la dérivation symétrique et conjointement asymétrique, inter et subétatique ;

  • de la distribution mondiale des acteurs en conflit au cumul des incertitudes et de l’énorme dispersion des décisions et des forces au combat ;

  • du type d’intensité des engagements militaires, dus à l’importance de l’enjeu, au nombre des acteurs aux prises et au volume et à la qualité des ressources employées, souvent colossales.

C’est donc au cours de l’extension du cadre géopolitique et en fonction du poids des acteurs engagés que se déterminera l’axe de gravité des conflits, le type d’intensité de la guerre et son issue probable.

 

L'EUROPE, PUISSANCE DU "STATUS QUO"

L'UNION EUROPÉENNE ET LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE SÉCURITÉ COMMUNE

L’Europe est-elle condamnée à l'impuissance ou peut-elle devenir un acteur géostratégique à hauteur de l'Histoire au cours du XXIe siècle ? Dans quel type de système international et avec quelle cohésion politique ?

Pour exister sur la scène mondiale, l’Europe n'a pas besoin besoin uniquement d’une identité juridique reconnue et d’une conception de la légitimité comme démocratie, mais doit concevoir autrement ce qui est étranger à l’Union, dans la notion d’extériorité et dans les apories de la vie intérieure des États membres, les notions de vulnérabilité, de menace et d'ennemi.

Le constat que l’UE est beaucoup plus qu’une institution intergouvernementale mais qu’elle demeure une forme politique hybride, n’aide pas les analystes à la concevoir comme puissance internationale. Celle-ci reste toujours une puissance civilisationnelle et identitaire, une puissance influente et non coercitive.

La conception sous-jacente de la politique extérieure de l’UE est de considérer celle-ci comme un prolongement de la politique domestique, comme politique de voisinage et de proximité, ou encore comme politique de pacification et de stabilisation.

Cette conception est à la base de la politique d’élargissement, entendue et pratiquée comme une politique d’adhésion.

 

SUR LA "CULTURE STRATÉGIQUE" DE L'UNION EUROPÉENNE

En amont des capacités et du dispositif d’action de l'UE, l’environnement et la culture stratégiques jouent un rôle décisif. Et on peut commencer à définir cet environnement par une série de questions.

Une culture stratégique européenne existe-t-elle ? Peut-elle naître d’une pratique opérationnelle intégrée mais limitée et quels en sont les fondements et les contours ? Les expériences nationales peuvent-elles nourrir un début de convergences entre visions du monde dissemblables, entre traditions et de modes opératoires éloignés ? Comment l’Europe peut-elle percevoir les menaces communes, promouvoir ses valeurs et défendre ses intérêts eu égard à l’emploi de la force dans la scène régionale et mondiale ? Dans quelle mesure la proximité des pratiques de défense des États membres peut-elle surmonter les spécificités géopolitiques de chacun d’entre eux et les divergences des politiques étrangères nationales ? De quelle manière la coopération militaire interalliée peut-elle contribuer à l'émergence d’une culture de la force commune, venant d’héritages et d’appareils de défense nationaux ?

 

UNE "BALANCE OF POWER" AU SEIN DE L'UNION

 

Par quelle « main invisible » la logique des intérêts nationaux s'harmoniserait-elle, sans toutefois disparaître au sein de l'Union européenne ? Les moteurs de toute politique de l'équilibre ont été, par le passé, le réalisme et l'État-nation, et l'Angleterre a réussi, plus encore que la France, à théoriser et mettre en œuvre la Balance of Power. Puisque la sécurité ainsi que la stabilité sont rarement indivisibles, le besoin d'être garanti se fait sentir à l'intérieur des institutions d'appartenance. Ainsi, les articulations du système institutionnel traduisent à leur manière, par des jeux de compromis croisés, la recherche d'harmonie des intérêts nationaux et leur composition. L'équilibre, au sein de l'Union, est une démarche partagée et acceptée. Le « noyau restreint » y devrait jouer le rôle d'unité et de synthèse, entre communauté d'action et communauté de valeurs.

 

LES "LIMITES DE L'EUROPE"

Les « limites » de l’Europe et du processus d’intégration en cours sont multiples. Celles qui ont une implication directe ou indirecte sur la politique étrangère et de sécurité et sur les relations extérieures de l’Union européenne sont de plusieurs ordres et peuvent être regroupées autour de différentes catégories d’objets.

En commençant par les plus significatives, nous prendrons en considération celles qui touchent :

  • aux « limites démocratiques » de l'intégration, à la stabilité et à la sécurité internationale ;

  • à la philosophie politique de l’Union et à la dialectique des antagonismes

  • à l’ordre « légal » international et aux différentes stratégies de paix ;

  • au système économique mondial ;

Les "limites" démocratiques de l'intégration 

La première et plus importante limite est dans la conception selon laquelle l'Europe, de l'avis de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, n'est pas un État fédéral mais une Union d'État souverains exercant chacun une souveraineté propre au nom de la représentation démocratique nationale. Cette absence d'un État souverain européen exercant « la compétence des compétence » est une « limite » politique et stratégique. Elle désigne un ensemble dans lequel les États sont les maîtres exclusifs des Traités et, plus préoccupant, une Europe confiée aux mains d'un « Gouvernement des juges » décidant, en dernière instance, sur la base de la « loi fondamentale » d'un seul pays, et confirmant ou infirmant les accords intergouvernementaux établis. Cette limite prive l'Europe des capacités d'action unitaire et sans cohésion dans les relations internationales.

Les limites "géopolitiques" et "stratégiques"

    Appartiennent à la première catégorie les grandes doctrines opératoires que nous appelons « géopolitique » et « stratégie ». Elles définissent les champs clés de l’action internationale des États et déterminent la place de l’Europe dans le monde, précisent l’identité et la personnalité du continent et, plus concrètement, sa géographie et son histoire.

Les domaines mentionnés marquent tous des insuffisances, soit de conception soit d’action, par rapport à une exigence fondamentale du système mondial : la « gouvernabilité internationale », hégémonique, géopolitique et stratégique.

Elles soulignent la faible capacité de modelage de l’ordre, l’absence de hiérarchie dans la subordination des domaines sectoriels ou partiels à une vision politique globale et intégrée de la scène mondiale. Elle montre l''oubli dans lequel est tenu le « Saint Esprit » de la politique equ'st la notion de puissance, comme le rappelait RANKE.

 

LA POLITIQUE D'ÉLARGISSEMENT ET DE VOISINAGE

ET SES ÉQUIVOQUES

Au sein d’un débat qui a pour objet tantôt les difficultés institutionnelles, tantôt les lacunes conceptuelles ou encore les errements du processus d’intégration, il est nécessaire de classer parmi les « limites » de l’Union, la politique d’élargissement et de voisinage et la définition des « frontières extérieures » de l’UE.

L’équivoque fondamentale de l’Europe a été de considérer le processus d’élargissement ou d’adhésion à l’Union comme une sorte de politique étrangère, comme la seule politique étrangère pleinement praticable par une Union conçue en tant que « puissance civile » et puissance responsable. Celle-ci aurait dû garantir la stabilité aux pays de l’adhésion au cours du double processus de transition des régimes totalitaires antérieurs vers la démocratie et vers l’économie de marché. En scellant l’unité historique du continent, la « carence » de la politique d’élargissement a reposé sur la volonté de changer la « nature » politique de « l’autre » par l’expérience brutale de la globalisation. Cependant, la véritable limite atteinte par le processus d’intégration est dans l’usure et dans l’affaiblissement du Leadership (noyau dur ou groupe pionnier).

 

LES "FRONTIÈRES EXTÉRIEURES" ET LES "CAPACITÉS D'ABSORPTION" DE L'UE

Pour ce qui est du problème des « frontières extérieures » de l’Europe, ce thème est sorti du domaine de l’abstraction et est devenu un sujet d’actualité et d’interrogation institutionnelle, un thème de réflexion géopolitique et stratégique, mais aussi de débat citoyen, à partir de la décision du Conseil du 17 décembre 2004 d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Turquie.

La crainte d’avoir affaire à une Union qui ne connaît plus de limites, ni à l’Est ni au Sud-Est du continent, ni dans la région du Caucase du Sud et de la mer Noire, pour ne pas parler du Moyen-Orient et du Golfe, exige la définition d’un cadre organisateur général des relations extérieures de l’UE, sur un double plan, régional et mondial et cela en raison de l’interconnexion des défis et des dangers, étendus et multiformes, et du repositionnement géostratégique de l’Occident, l’Occident européen et l’Occident nord-américain, en Irak et en Afghanistan.

Ainsi, deux dimensions problématiques sont concernées, une, de nature institutionnelle et, l’autre, de nature sécuritaire.

  • La première est liée aux « capacités d’absorption » de l’Union européenne, et concerne la Turquie, bref la représentation, le poids et l’équilibre institutionnel au sein du Conseil des ministres de l’Union, mais aussi les capacités budgétaires et les politiques de solidarité et de cohésion.

  • La deuxième se réfère aux relations de proximité, les Balkans eurasiens en particulier, à des zones à très forte instabilité politique, à haut potentiel de conflits, à un degré élevé de spiralisation de la violence, en raison de l’interaction de problèmes non résolus, de haines ancestrales et de la présence de ressources et de revendications territoriales, aiguisant les crises latentes ou gelées.