INFLUENCE ET POUVOIR EN EUROPE ET EN CHINE

REFORMES CONFUCEENNES ET POST-MODERNITE
Auteur: 
Irnerio SEMINATORE
Date de publication: 
28/4/2014

L'influence et son concept

Au niveau individuel, l'influence est une relation euristique entre un ou plusieurs sujets fondée sur l'orientation d'une conduite. Au plan institutionnel le concept d'influence est assimilé à celui de persuasion et son mode opératoire fait partie des techniques utilisées par le « pouvoir modéré » pour convaincre l'opinion et obtenir son adhésion volontaire.

En politique internationale l'influence, ou « soft power », est opposée à la puissance, ou « hard power », pour caractériser ce qui peut être obtenu respectivement par les moyens policés ou par la force. Par opposition au pouvoir autoritaire, le pouvoir modéré appartient à la forme d'autorité que nous appelons démocratie, et pour convaincre, fait appel à des conditionnements qui se fondent sur l'affinité de jugement et les connivences d'une culture commune.

L'influence suppose en amont un partage de convictions et de valeurs car le pouvoir qui utilise la persuasion, au lieu de la coercition, est un membre de la famille culturelle du récepteur et participe du même monde intellectuel. L'influence est, en somme, une conception du partage des biens symboliques, habite les mêmes esprits et vit du même imaginaire.
Du point de vue phénoménologique, l'influence modifie en définitive le comportement de l'autre sans recourINFLUENCE ET SON CONCEPTs à la coercition, à la manipulation où à la désinformation, puisque le pouvoir modéré, par le pluralisme des moyens d'information, s'interdit le monopole de ces derniers et refuse la propagande, qui est le recours permanent du pouvoir autoritaire. Or, ce qui fait la différence entre pouvoir autoritaire et pouvoir modéré au sujet de l'information, de la communication, et de l'influence politiques, est la notion d'autorité, sa légitimité dans un cas, son illégitimité dans l'autre. En effet, ce sont la légitimité ou l'illégitimité qui déterminent les sources ultimes du pouvoir, les « arcana imperi », et le ferment de la fonction de gouvernance.
Plus en profondeur, ce qui fait la distinction est la fiction par laquelle est pensée la souveraineté du peuple, celle du régime politique qui l'exerce ou la forme d'État qui l'incarne. De manière générale, l'influence en politique est le pouvoir exercé sans contrainte, le pouvoir de faire faire et de faire choisir à l'autre le comportement qui lui appartient in « foro interiore » et de son plein gré.

 Démocratie et autocratie
Le « meilleur » gouvernement et le retour à Confucius

Dans le débat actuel sur l'édification des fondements moraux du pouvoir politique, les réformateurs confucéens en Chine apportent un ferment de renouveau aux postulats de la démocratie à l'occidentale.
Les philosophies et les doctrines chinoises s'efforcent d'expliquer les aspects normatifs et persuasifs de la tentative de concilier la Démocratie libérale à l'occidentale et une plus forte acceptation de l'autoritarisme oriental, au nom de l'élargissement planétaire de la méritocratie confucéenne.
Dans cet effort de réforme politique, une question de fond n'est pas à négliger et peut être ainsi formulée.
« Quelle est la forme d'autorité et donc le régime politique mieux à même d'être suivi pour gouverner une société, qui n'est plus nationale mais mondiale, et qui, lorsqu'elle est nationale, doit avoir comme repère et comme loi de référence, sa propre culture et son histoire ancienne ? »

Cette interrogation n'est pas nouvelle, car elle a été débattue par le passé en Europe dans les années 1920-1930 et puis encore entre 1945 et les années 1990, par nombre de sociologues, politistes et philosophes de l'Est et de Ouest , au sujet de l'opposition entre démocratie et totalitarisme, ou encore entre modèle libéral et modèle socialiste.
À titre de rappel historique l'art de convaincre, de persuader et de gagner les esprits en Europe Occidentale, s'est prévalu au XX ème siècle pendant plus de soixante-dix ans, de plusieurs ordres d'influence. Le débat d'idées a gagné d'abord les revues académiques et scientifiques, puis l'imaginaire artistique, le grand art du cinéma, l'architecture et l'esthétique et ce confluent culturel a totalement rempli l'espace symbolique, travaillé par l'éternelle question platonicienne sur le «meilleur» gouvernement. La quête hégélienne du sens, la quête d'un ordre social « juste » a complété le cadre des attentes sociales qui reposaient sur un avenir, associé au progrès de l'humanité.
C'est au fond la question du « sens » qui fait toujours problème en politique.
Où est le « sens » de l'homme, où est le « bien » social, quel est le « meilleur » système de gouvernement dans une société post-nationale et post-moderne ?

Influence politique et contenus civilisationnels

Les termes du débat d'aujourd'hui sont ceux dans lesquels nous ne pouvons pas dissocier « la politique » du « sens » des politiques, et les politiques proprement dites du champ social, les revendications de la « société civile » internationale de l'émergence d'un altermondialisme à visage radical, impuissant mais cependant présent.
C'est encore une fois le domaine de la recherche d'une direction d'avenir là où se joue la fonction du leadership de demain. D'un point de vue schématique, peut-on dire qu'en Chine, les jeux de l'influence pour une « réforme conservatrice » sont de la pure rhétorique au profit du « pouvoir modéré » à l'occidental ?
Débattre de la réforme du pouvoir sans oublier les enseignements du passé signifie t-il se limiter au modèle de la société nationale, ou bien d'anticiper sur une société planétaire en devenir et à peine esquissée ?

Au plan de la connaissance il est presque impossible de débattre aujourd'hui du système politique en Chine sans parler de la critique du modèle de pouvoir en place. Ne faut-il pas rappeler que les bilans et les perspectives de notre époque sont marqués par l'usure des modèles et « la fin des grands récits »(Lyotard) qui resserrerait sous la force coercitive de la passion intellectuelle, les temps révolues de l'idéologie, bref les romans épiques de l'Histoire sociale, culturelle et politique du capitalisme du XX ème siècle et de la civilisation industrielle d'hier, ou encore l'Histoire du monde occidental dans son ensemble.

Ce débat là et sa force d'enchantement a acquis dans l'histoire de la culture occidentale, la forme de l'épos tragique de la modernité et a été lié à la domination européenne et à l'universalisme occidental triomphant. Par contraste, l'histoire de la mondialisation actuelle et de la post-modernité planétaire, s'identifie à l'émergence d'une « société-monde » qui relativise les systèmes de pensée et les philosophies nés de la fin de la domination de l'Occident et de ses modèles intellectuels. L'uniformisation générale des concepts et le triomphe du particulier et du relatif est marqué par la découverte d'autres sources et d'autres racines intellectuelles, venues de civilisations anciennes. Si la modernité fut occidentale, la post-modernité est mondiale. Le mot clé de la première fut l'égalité formelle des nations, la marque de la seconde, l'inégalité des parcours et des développements des sociétés et des peuples tout au long des siècles.

La post-modernité peut-elle devenir la théorie-monde de la démocratisation confucéenne, dans l'empire du Chung-Kuô ? Peut-elle apparaître comme la critique systématique de l'Occident et en même temps le nouveau « Livre rouge » de la réforme constitutionnelle de l 'empire du milieu, au visage humaniste et harmonieux ? En réalité, dans le débat en cours sur la réforme politique en Chine, ayant pour postulat l 'émergence d'une société plus tolérante et plus ouverte, le retour à Confucius est marqué par une reprise de l'opposition entre démocratie et méritocratie. Ce débat date en Europe de l'époque de Max Weber, du Néokantisme de l'école de Marbourg et de la quête schumpétérienne de la troisième voie entre capitalisme et socialisme. Le débat chinois ressemble étrangement à cette longue querelle sur les mérites et les démérites historiques de la démocratie libérale et sur l'efficacité autoritaire du socialisme planificateur. Les réformistes confucianistes déplacent l'axe de gravité du système politique intérieur, borné au cadre des frontières culturelles du pays et de la défense d'intérêts exclusivement nationaux, vers la sphère planétaire des défis et des intérêts de la gouvernance globale idéale. Ils avancent l'idée que la défense des intérêts de la planète et des générations futures est assurée par la « méritocratie », comme système de gouvernement politique de la troisième voie, celle qui surmonte les limites fermées des systèmes démocratiques nationaux, caractérisés par la logique « un homme, une voix », pour une post-modernité ouverte, en mesure de conforter l'efficacité de l'autorité à l'intérieur et les intérêts humains universels de la mondialisation, à l'extérieur. Les « valeurs » qui sont censées permettre ce « grand bond » en avant confucéen vers la post-modernité reposent sur l'égalité du mérite et sur la sélection d'une nouvelle classe de dirigeants garantie par l'éducation et par la vertu et guère par une constitution ou par un régime de pouvoir.
Dans cette idéalisation du système de sélection des élites de demain, repose la réforme politique du Chung Kuô et le retour à Confucius. Tout système politique serait ainsi simultanément postnational, mais aussi national et transnational, car la « vraie démocratie » s'inscrit dans la possibilité d'apporter une réforme « conciliatrice » entre système démocratique et système autocratique opposés et de reprendre les thèmes classiques de la tradition, en les adaptant à l'ère nouvelle, celle de la postmodernité planétaire et post-occidentale.