POUR UN NOUVEL ÉLAN DE LA POLITIQUE INTERNATIONALE DE L'UE

Le « Traité de Lisbonne » et après ?
Auteur: 
Irnerio SEMINATORE
Date de publication: 
18/3/2010

Prémisses et constats

La ratification du "Traité de Lisbonne"et sa mise en oeuvre, mettent un terme au débat constitutionnel qui a occupé le devant de la scène européenne depuis dix ans et qui a débuté au Sommet de Laeken en 2000 sous la présidence belge de l'UE.

Après cette longue période de réforme des traités et de rationalisation. D'une activité législative dispersée, le temps du débat stratégique s'inscrit désormais à l'ordre du jour de la politique internationale de l'Union.

L'UE doit donc se mettre à l'heure de la politique globale et de ses enjeux.

Quelles leçons tirer de cette décénnie d'éfforts, marqués les difficultés structurelles d'éxistence internationale de 'UE, qui sont essentiellement politiques ?

Tout d'abord, celle d'adapter sa structure de décision aux impératifs d'action de la multipolarité. C'est le sens profond de la création de deux nouvelles figures de l'architecture de l'UE, le Président du Conseil de l'UE, le HR pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et du Service Européen d'Action Extérieure. Il s'agit là d'un dispositif dicté par un effort d'adaptation euro-centré, plutôt que par les exigences de gouvernabilité internationale ou par l'influence des nouveaux paradigmes, géopolitiques et stratégique du monde multipolaire.

Cette nouvelle centralité institutionnelle n'est guère à confondre avec la centralité politique ou avec la fonction de souveraineté et de Leadership qui appartiennent formellement au Conseil de l'UE.1

et qui demeurent inchangés. La pluralité des cadres institutionnels prévus pour la politique internationale de l'Union, la Politique Étrangère et de Sécurité Commune, la Politique Européenne de Voisinage (2004), l'Union pour la Méditerranée (2008), le Partenariat Oriental (2009) et la complexe cartographie des relations d'association et de coopération dans le monde, n'ont pas permis à l'Union de faire mûrir un concept stratégique global , une cohérence stratégique d'ensemble, ou à lui suggérer l'exigence, pourtant fondamentale, d'adopter une rationalité géopolitique et systémique forte.

Cette absence d'unité conceptuelle est lisible dans l'éclatement des initiatives de l'Union. En effet, l'objectif fondamental de ces initiatives a été d'éviter l'émergence de zones de rupture, constituant des espaces d'exclusion autour de sa périphérie. Elle est visible dans l'ensemble des cadres multilatéraux prévus pour leur gestion. En outre dans cette dialectique centre-périphérie, les attentes de la périphérie on dominé les capacités du centre de les satisfaire. Entre-temps et au cours de ces évolutions, le centre, le vieux noyau dur, s'est distendu politiquement.

Cette absence d'unité conceptuelle est identifiable encore aujourd'hui dans les shèmes de la transition du système de la bipolarité à celui de la multipolarité. Il s'agit des approches classiques de l'UE dans les relations extérieures, un mix de libre-échange, de dialogue politique et d'empire des normes, visant à consacrer l'élargisemment des zones de stabilité et de bonne gouvernance.

Cette transition a été caractérisée par l 'extension des principes de l'UE vers l'extérieur, plutôt que par l'acquisition de la part de l'Union des modes de fonctionnement classiques du système international (réalisme, unilatéralisme, influence, hard politics, logique d'intérêt et de puissance, tendance à la polarisation). Cet éclatement géopolitique et stratégique de l'Union interdit, malgré le « Traité de Lisbonne » d'aller au delà de la simple cohérence institutionnelle améliorée.

Par ailleurs l'absence de perspective historique s'est traduite par la difficulté de passer de la cohérence institutionnelle à la cohérence politique, permettant à l'Union de se préfigurer comme pôle de puissance dans un monde en pleine évolution.

Ces difficultés se traduisent, au cœur même du « Traité de Lisbonne » par une conception dépolitisée de l'intégration et des structures institutionnelles liées à la politique étrangère et à la Politique de Voisinage.

Elles se manifestent par l'absence d'une conception Hard de la politique internationale ce qui interdit à l'Union dans la dialectique du « Hard » et du « Soft » de se définir comme « Smart Power » ,selon la nouvelle matrice de la politique américaine.

Dans cette situation et au sein des dynamiques mondiales d'aujourd'hui, un nouvel élan de la politique internationale est indispensable, en particulier dans la définition d'une architecture trans- eurasienne de sécurité, dans l'élaboration d'une Ostpolitik mondiale de l'UE, et dans une présence européenne de contournement océanique dans le nouveau « pivot des mers » ,– l'Océan Indien.

Avec le « Traité de Lisbonne » et le débat qui l'a précédé, l'Europe touche à la fin de son exceptionnalisme moral et se doit de lui tourner résolument le dos, pour adopter une vision du monde dictée par la Realpolitik et la par Balance of Power.

La raison de ce tournant indispensable est représentée par le changement, après la fin des blocs, du paradigme fondamental sur lequel a été bâtie l'Union, qui était hier l'Europe et aujourd'hui l'Eurasie, hier la politique européenne et aujourd'hui la politique mondiale, hier la bipolarité menaçante et aujourd'hui la multipolarité tendancielle du système international. Ce constat comporte, par déduction logique, une distinction nette, mais non évidente, entre les deux cultures, de la globalisation et de la Balance of Power, et le primat conceptuel de la deuxième sur la première, qui demeure cependant dominante dans les esprits, surtout en Europe.

L'Union doit adopter ainsi, la définition d'une politique étrangère comme géopolitique, ce qui veut dire la priorité accordée à la stabilité politique dans le monde sur les affinités de principes, des régimes politiques et des modes de gouvernement. Autrement dit, la priorité des intérêts permanents sur les valeurs sur les conceptions politiques à prétentions universaliste, comme les transitions démocratiques ou les modernisations des régimes mixtes, traditionnels et modernes.

Géographie prospective

Les coordonnées principales de la politique internationale de l'Union

Pour mieux préciser géographiquement, l'Union Européenne ne peut avoir une diplomatie éclatée et doit se définir, en ses coordonnées principales :

Comme diplomatie triangulaire dans l'espace euro-atlantique, vis à vis du États-Unis et de la Fédération de Russie et, plus spécifiquement, comme diplomatie multipolaire en Eurasie, par le soutien des institutions de sécurité collective qui s'y organisent. Cette sécurité collective se dessine comme alliance bilatérale des USA et du Japon d'une coté et comme stratégies indépendantes et sphères d'influence autonomes de la Chine et de l'Inde de l'autre.

Comme diplomatie multilatérale en Asie Centrale, pour un accès différencié de l'UE aux ressources de la région,en particulier energitique évitant l'affirmation exclusive de l'hégémonie d'une seule puissance (Russie, Chine, États- Unis) .

La diplomatie européenne doit se profiler également comme diplomatie dissuasive et comme politique de non prolifération à caractère multilatéral vis à vis de l'Iran sans exclure d'autres options si nécessaire, et enfin, sous forme de soutien multilatéral à l'intégration régionale dans les deux Amériques, en Afrique et en Méditerranée.

Au plan général et pour conclure elle doit adopter une approche systémique d'ordre globale dans les différents cas.

À ces conditions l'UE pourra intervenir efficacement dans la prévention et la solution des crises :

  • pour l'assouplissement des relations conflictuelles, en particulier en Afghanistan, l'Iran et Moyen Orien
  • pour faciliter les issues et les « sorties de crise » des acteurs de la coalition engagés en Af-Pak et dans le Golfe, et cela par la constitution d'un large front de pays de la région, se constituant en garants régionaux des formes de pacification politique et des embryons d'auto-gouvernement local.

C'est la seule manière pour l'UE de faire en sorte que la multipolarité tendancielle du système international évolue dans le sens de la responsabilité, de la stabilité et de la retenue, autrement dit dans prévention réelle des conflits.

Les européens que nous sommes espèrent également que le « Traité de Lisbonne », malgré les critiques et les insuffisances épinglées, contribue à une plus forte presence de l'UE dans le monde et à la réalisation du but originel des pères fondateurs, l'unité politique du continent.