CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE ET TRAITÉS EUROPÉENS

Cet exposé a été prononcé le 4 mai dans le cadre des Midis de l'Europe de l'institut d'études européennes des facultés universitaires Saint Louis (FUSL) à Bruxelles. Le texte a été mis à jour par son auteur compte tenu du résultat du 6 mai.
Auteur: 
Christian Franck
Date de publication: 
15/5/2012

Une campagne électorale procède par effets d’annonce, recourt à une rhétorique de l’incantation et de la mobilisation. Il faut durcir le trait, frapper les esprits pour entraîner l’adhésion, c’est-à dire, le vote. Tout autre est le registre de la gouvernance européenne où la prise de décision procède par négociation entre les Etats au sein du Conseil (« l’Interstate Bargaining » de A. Moravcsik ) et dans le cadre des relations interinstitutionnelles. Quand les arcanes de la décision européenne réceptionnent les propos d’une campagne présidentielle ou législative, elles les redimensionnent : ce qui était proclamation décidée devient posture de négociation. Les engagements électoraux sont énoncés dans une forme catégorique: leur impact sur le système institutionnel est évidemment soumis à la relativité des rapports de force au sein de l’Union. Ce que l’on promet aux électeurs, il faut le réaliser dans la conciliation avec les partenaires…

En 1974, Harold Wilson a fait campagne au Royaume-Uni avec le slogan : « No entry on Tory terms ». Le parti travailliste voulait renégocier le traité d’adhésion. Il a gagné les élections avant d’enregistrer le refus des huit autres Etats membres d’une renégociation dudit traité. Mais H.Wilson a pu sauver la face en obtenant en 1975 la création par le Conseil européen d’un mécanisme correcteur qui pouvait éventuellement alléger la contribution britannique au budget européen mais qui ne sera jamais activé. Quelques années plus tard, en 1978, Maggie Thatcher et le aparti Tory gagneront les élections en proclamant : « I want my money back ». Elle obtiendra la ristourne britannique en 1984 …

Si l’on observe les dernières élections présidentielles françaises- 2002 et 2007- l’on enregistre également des demandes, des propositions qui seront réceptionnées par le système institutionnel européen mais aussi redimensionnées par celui-ci :

-2002 : Jacques Chirac demande une réforme de la présidence tournante du Conseil : un président stable du Conseil européen et un nouveau régime de présidence des formations du Conseil : le traité de Lisbonne fera apparaître le président stable du Conseil européen mais maintient, en les regroupant par trios, les présidences nationales semestrielles.

-En 2007, N. Sarkozy propose un mini-traité reprenant les quelques réformes institutionnelles qui font consensus. Angela Merkel fera réintroduire la plupart des innovations institutionnelles et matérielles du traité constitutionnel dans le traité de Lisbonne, à l’exception de son caractère « constitutionnel ». Nicolas Sarkozy propose aussi une « Union de la Méditerranée » : elle deviendra l’Union pour la Méditerranée et sera articulée au processus euro-méditerranéen de Barcelone.

Quid des engagements de la campagne présidentielle française de 2012 ?

Devenu président, François Hollande obtiendra-t-il la renégociation du traité d’union budgétaire dont il refuse la ratification? L’on peut répondre par la négative. Ses partenaires européens lui permettront de sauver la face avec une déclaration séparée sur la croissance et la relance économique, comme ce fut le cas en 1997 lorsque Lionel Jospin mit en cause le pacte de stabilité et de croissance. Mais le traité entrera en vigueur, avec ou sans la France.

S’il était resté président, Nicolas Sarkozy aurait-il suspendra-t-il la participation de la France à l’espace Schengen ? Ce n’est pas vraiment le scénario d’une nouvelle « chaise vide » qui se dessinait mais celui d’un affrontement entre la France, l’Allemagne et l’Espagne, d’un côté, et la Commission et le Parlement européen, de l’autre, sur la latitude laissée aux Etats de rétablir le contrôle aux frontières intérieures. Confrontés aux réalités de la scène politique européenne, les effets d’annonce de la campagne présidentielle se ramènent à une posture de négociation à Bruxelles.

F. Hollande comme L. Jospin en 1997

Le « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’union économique et monétaire » (TSCG), dit d’union budgétaire, a été signé le 2 mars dernier par 25 Etats, dont les 17 qui ont l’euro pour monnaie. Sacralisant la règle de l’équilibre budgétaire, il doit entrer en vigueur en janvier 2013. Entre la signature du 2 mars et l’échéance 2013, il y a encore une marge. Fr. Hollande entend l’utiliser pour obtenir une renégociation. Jugeant que le traité met exclusivement l’accent sur la discipline des finances publiques, le candidat socialiste veut le remplacer, comme il l’a redit à Paris le 17 mars devant ses partenaires socialistes européens, par un « pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance ». A-t-il une chance d’être entendu ? Vraisemblablement pas.

Contrairement à une révision des traités sur l’Union européenne, qui requièrent la ratification par tous les Etats membres, le traité du 2 mars entrera en vigueur dès lors qu’il sera ratifié par au moins 12 des 17 Etats de l’eurozone (art. 14). Le scénario de 2005 - rejet du traité constitutionnel puis, renégociation- ne se répètera donc pas. Le seuil des ratifications requises sera largement franchi sans la France. Avec deux conséquences .Un lien de conditionnalité a été établi en février 2012 entre l’adhésion au TSCG et le « mécanisme européen de stabilité » de soutien financier : sans ratification du premier, la France ne pourrait bénéficier du second. Par ailleurs, le président Hollande ne serait pas convié aux sommets de l’eurozone, réservés (art.12) aux dirigeants des « Parties contractantes ».

Les partenaires de la France devraient refuser la renégociation du traité d’union budgétaire, mais ils pourraient s’accorder, hors traité, sur un programme européen de croissance qui permette à Fr. Hollande de faire une courbe rentrante sur le traité tout en se prévalant d’avoir donné une impulsion à une dynamique de relance économique. L’on rejouerait de la sorte le scénario de l’adoption par le gouvernement Jospin du « pacte de stabilité et de croissance » (PSC).de 1997.

Ce pacte avait été exigé par l’Allemagne : il s’agissait afin de maintenir pour les membres de la zone euro la discipline budgétaire des 3% PIB de déficit qui avait été requise par le traité de Maastricht pour y entrer. Sauf cas de récession, des sanctions automatiques frapperaient les contrevenants. Fin 1996, le président Chirac en avait accepté le principe,  mais le pacte devait être confirmé au Conseil européen d’Amsterdam à la mi-juin 1997. Lorsqu’il s’y rend, J. Chirac est accompagné par Lionel Jospin, nouveau premier ministre socialiste de cohabitation. Celui-ci avait menacé de rejeter le pacte: il finira par s’y rallier moyennant une résolution complémentaire du Conseil européen sur la croissance et l’emploi et la tenue anticipée d’un sommet européen sur l’emploi1. Le pacte de stabilité resta inchangé mais Lionel Jospin put se prévaloir de l’avoir rééquilibré. Le précédent de 1997 offre une porte de sortie à François Hollande: échanger la ratification du traité d’union budgétaire contre l’amorce d’une action européenne concertée sur la croissance, qui lui soit complémentaire. Un problème additionnel pourrait survenir de la nature de l’acte juridique dans lequel le président  Hollande inscrirait la règle d’or de l’équilibre budgétaire : l’article 3 par.2 du traité du 2 mars préconise la transposition de la règle dans un acte national de caractère constitutionnel ou d’effet équivalent (de caractère contraignant et permanent) : l’art. 8 dispose que cette transposition sera contrôlée par al Cour de Justice UE. Un refus français d’inscrire la règle d’or dans la constitution ou dans une loi organique serait donc épinglé par la Cour dont le jugement sera contraignant.

Pas de retour à la « chaise vide 

Si Nicolas Sarkozy était resté à l’Elysée, il n’aurait pas suspendu la participation de la France à l’espace Schengen. Lors de son discours de Villepinte le 11 mars, le président-candidat avait certes déclaré que les accords de Schengen « doivent être révisés » et menacé de s’en retirer « jusqu’à ce que les négociations en cours aient abouti ». Ces propos de campagne avaient surtout pour effet de dramatiser un affrontement sur les propositions de la Commission concernant la réforme de la gouvernance de l’espace Schengen, qui remontent à septembre 2011.

A la suite des pressions migratoires qui ont accompagné les révolutions arabes, Paris, Berlin et Madrid ont demandé un renforcement de cette gouvernance. Il s’agissait de remédier aux défaillances de certains Etats dans le contrôle des frontières extérieures de l’Union et de faciliter le rétablissement, pour des motifs d’ordre public et de sécurité intérieure, du contrôle national aux frontières intérieures. La Commission y a donné suite, à la mi-septembre 2011 avec des propositions qui restreignent les marges de manœuvre nationales: sauf pour une période limitée de cinq jours, le rétablissement du contrôle aux frontières internes relèverait non des Etats mais d’une décision de la Commission, agissant dans le cadre de ses pouvoirs d’exécution, avec l’accord d’une majorité qualifiée au sein d’un comité de représentants des Etats (procédure de comitologie dite d’ « examen » (voir proposition de la Commission du 16-9-2011 (COM 2011)560 final concernant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontière intérieures dans des circonstances exceptionnelles).

Paris, Berlin et Madrid demandaient plus de latitude pour prendre des mesures dérogatoires. Les propositions de la commissaire suédoises C. Malström vont à l’encontre de cette volonté et « communautarisent » la procédure. Les ministres de l’intérieur des trois pays ont vivement réagi, invoquant la souveraineté nationale dont relèvent les mesures liées à l’ordre public et à la sécurité. Le débat est depuis lors engagé au Conseil.il a été rouvert à Luxembourg lors du récent Conseil JAI (ministres de l’intérieur). Il implique aussi le Parlement qui a la codécision législative sur cette matière et qui va très certainement soutenir la Commission. Par-delà l’emphase des propos de campagne présidentielle, ce n’est pas scénario de la « chaise » pratiquée par la France en 1965 qui est envisagé. La réforme de la gouvernance Schengen donne lieu à un âpre débat au sein de l’Union. La France y a des alliés de poids- Berlin, Madrid et quelques autres, dont elle ne peut se dissocier. La menace de la « chaise vide » est une posture de négociation. L’intérêt français est dans une stratégie de coalition au sein Conseil (qui devra en découdre ensuite avec le Parlement) pour maintenir la prérogative des Etats sur la réintroduction des contrôles aux frontières externes. Pour les deux finalistes de la présidentielle française, il y avait de la marge entre les propos de campagne et les latitudes de la négociation dans le cadre de l’Union européenne.

L'auteur est professeur à l'université catholique de Louvain, professuer invité à l'académie diplomatique de Vienne et au collège d'Europe (Natolin)

 


1 Voir le livre de Gabriel Milesi, Le roman de l’Euro, Hachette, 1998