DAESH ET L'ÈRE DE L'ASYMÉTRIE

Sur la nature de la menace et sur les formes de conflit au Proche et Moyen Orient
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
4/6/2015

 

DAESH ET L'ÈRE DE L'ASYMÉTRIE
Sur la nature de la menace et sur les formes de conflit au Proche et Moyen Orient

Irnerio Seminatore

2 juin 2015

 Daesh and the « coalitions of the willings »

Dans un environnement stratégique entré dans une phase de déséquilibre permanent et de conflits durables, qui accroissent l'importance des instabilités et les facteurs de perturbations, et où tous les jeux sont ouverts, mouvants et révocables, la guerre contre l’État Islamique concerne non seulement le Proche-Orient et le Golfe mais l'Europe, la Russie, les États-Unis et toutes les puissances régionales, principalement l'Arabie Saoudite, l'Iran et la Turquie, sans exclure l’État hébreu. Dans sa progression sur Damas, si le régime de Bachar al-Assad tombe, la première cible sera Israël. Le conflit qui agite le Proche-Orient est l'expression d'un enjeu de domination totalitaire et à large spectre qui a pour objet la région. L’ État islamique, doué d'une organisation territoriale ignorant les frontières politiques entre deux États en décomposition, l'Irak et la Syrie, dispose d'une stratégie expansionniste et d'une grande mobilité tactique, étalée sur plusieurs fronts.

Du point de vue politco-militaire, les répercussions de la lutte anti-Daesh impliquent, selon Laurent Fabius, une « politique de rassemblement inclusif », bref une coalition large qui lie le soutien militaire de « l'alliance des volontaires » conduite par les USA, au respect des engagements politiques pris par le nouveau gouvernement irakien dirigé par Haider Al-Abadi. Depuis peu de temps, l’État Islamique a fait des grandes avancées sur le terrain des combats, occupant un tiers de l'Irak et la moitié de la Syrie. Or jusqu'à l'implication éventuelle de la Turquie et d'Israël, l’État Islamique restera la force militaire la plus dynamique du Proche-Orient, car il progresse sur les fractures de la société syrienne et irakienne et comptant sur le soutien militant de candidats ou de combattants du djihad du monde occidental, d'environs 20 milles unités. Contre la menace d'instauration d'un Sunnistan, tenu comme un État fanatique, théocratique et radical, au projet salafiste, aux méthodes baasistes et aux ambitions de souverainetés étatistes, les efforts anti-Daesh déployés par la « coalition of the willings » sont peu efficaces. Et cela, pour plusieurs raisons connexes, l'appui saoudien et turc, le manque de volonté de combat de l'armée irakienne, l'absence de détermination et d'idées des occidentaux, le fait que, dans tout conflit, la reine des batailles reste l'armée de terre et l'appui aérien est un support puissant mais non décisif pour la victoire militaire, car ce qui compte, c'est l'occupation du terrain.

Implications des grandes puissances

Ainsi, dans le Proche et Moyen-Orient, multi-ethnique, multi-religieux et multi-civilisationnel, tenu historiquement comme la zone géopolitique la plus complexe et la plus turbulente du monde, l'occupation du terrain exige des alliances locales et un projet de stabilisation régional. Ce projet de fractionnement stratégique et d'influence politique, prime sur la logique des alliances, car il implique historiquement des puissances mondiales extérieures. En effet, aucune configuration locale des forces ne dispose d'autonomie stratégique. C'est pourquoi l'implication des grandes puissances est déterminante en fonction d'un certain nombre de critères :

  • l'intérêt géopolitique et géostratégique différenciée

  • l'importance de l'échiquier régional par rapport au théâtre global

  • les priorités des agendas politiques des puissances régionales

  • l'évaluation des capacités de soutien et de projection des forces des garants extérieurs et de leurs marges de manœuvre

  • le réseau des alliances locales, mutantes et instables

Sur la nature de la menace

Quant à la nature de la menace, la gravité et l'étendue de celle-ci détermine l'ampleur de la coalition. Quel type de menace représente-t-il (Daesh) dans le cadre de ses relations entre l'Europe et le monde musulman ?

  • celle d'être un projet théocratique, prêchant, au nom du Califat, la pureté des origines

  • celle d'être une alternative intégriste et radicale à la « démocratie », qui a inspiré les « Printemps arabes », comme option pour parvenir au pouvoir

  • celle d'être une critique historique des gouvernements en place à la solde de l'Occident

  • celle d'être un théâtre d’entraînement et de recyclage pour les djihadistes du monde entier

Par son projet de souveraineté de type étatique, doué d'administration territoriale et ignorant les frontières politiques, Daesh s'oppose à la conception d'Al-Qaïda dont l'organisation est migrante, déterritorialisée et transnationale. Ainsi, la réponse à cette menace définit le type de conflictualité qui caractérise la lutte contre l’extrémisme et le terroriste islamique.

Le terrorisme et ses formes

La violence extrémiste a engendré un tournant dans les relations internationales depuis 2001 et a ouvert une nouvelle ère à la politique globale. Le terrorisme apparaît ainsi, par sa fonction objective, comme un pouvoir égalisateur des faibles et par sa fonction subjective, comme une stratégie d’usure et d’activation politique anti-occidentale.

Puisque l’objectif permanent des acteurs fondamentaux du système reste la stabilité et la régulation des conflits, c’est à la stabilité que s’attaque le terrorisme et c’est à la régulation que vise l’apparition de menaces non conventionnelles.

La contraction du temps et l'intégration du réel dans le « virtuel » permet au terrorisme d'éveiller, frapper et agir en temps réel, à l'échelle du globe, unifiant des formes de combat, qui sont à la fois :

1) atypiques,

2) asymétriques,

3) géopolitiques,

4) inter-connectés,

    5) et métapolitiques.

Sur les formes de la conflictualité

Dans le but de mieux cerner la nature de ces implications, le terrorisme appartient à une forme de conflit :

  • atypique, par rapport au conflit militaire classique, centré sur une volonté étatique, un enjeu défini et un ennemi désigné, le phénomène terroriste n'a pas de forme pure et épouse plusieurs catégories de motivations et de modes opératoires;

  • asymétrique, puisqu'il oppose le fort et le faible aux forces et combinatoires opposées (concentration/dispersion/attaque/représailles) et comporte une inversion du risque;

  • géopolitique, car il est de portée internationale et mondiale et il est susceptible d'induire une restriction des libertés civiques dans les systèmes démocratiques de l'Occident et, dans certaines situations, la mise en place d'un « état d'exception ».

Sur la géopolitique de la connexion

En terme strictement opératoire, le terrorisme est un conflit interconnecté car, à la logique des territoires et des réalités socio-politiques, il oppose l'émergence d'un monde de réseaux et d'un espace virtuel, à l'ancrage physique dispersé.

A cause de la contraction du temps et de l'espace, il engendre un processus « dual » entre le « temps réel » et le « temps virtuel » de l'action, il conjugue ainsi deux dimensions de la conflictualité, celui local, propre à l'action conflictuelle réelle et celui médiatique, dicté par l'influence globale sur les opinions. Nous assistons à une interconnexion toujours plus étroite entre les deux espaces, des territoires et des réseaux, propice à l'émergence de deux axes de combat, l'épreuve des forces au contact et l'épreuve des volontés liée au perçu médiatique.

Le terrorisme est pour terminer un conflit métapolitique qui profite de la globalisation, hors de toute liaison avec l'effet induit par l'action réelle sur le théâtre des affrontements. Ainsi, au niveau de la conscience collective, le virtuel gagne sur le réel et la diplomatie discursive des acteurs dispersés et civils, aux arrières du combat, prend le pas sur la diplomatie coercitive des acteurs étatiques et sub-étatiques en face à face.

Pour terminer, le terrorisme et la lutte de Daesh désignent un conflit, qui transcende la sphère du pouvoir et celle du présent et qui s’étend bien au-delà des limites d’une frontière. C'est un type de conflit qui appartient à la catégorie des défis non-conventionnels.

Sur les formes de l'action anti-terroriste

La longue guerre contre la terreur combine en effet quatre formes d'action :

  • l'action militaire directe, (pour la destruction ou le démantèlement des structures opérationnelles),

  • l'action de traque indirecte, pour la coopération policière, financière et du renseignement,

  • la coordination civile internationale, à caractère juridique, fondée sur les résolutions 1373 et 1378 du CSONU du 28 septembre 2001,

  • l'action internationale des forces spéciales, menée hors du cadre légal et judiciaire.

Dans la plupart des cas, le terrorisme est un « sous-traitant » des pouvoirs étatiques, « hors la loi », et agit avec l’accord tacite et le financement de ceux-ci. Son espace de manœuvre n’est plus celui d’une guerre calculée, limitée, contrôlée et circonscrite, autrefois piloté par les grandes puissances, mais celui, plus autonome, de réseaux d’activation inter et sub-étatiques, qui alimente l'interaction stratégique Orient-Occident, et implique un choc des civilisations, un choc asymétrique et un remous fluctuant et permanent de la complexité internationale et sociétale.