REPRINT
En raison des recherches menées par l'OTAN et par             le Joint Irregular Warfare Center (JIWC) des Etats-Unis dans             le cadre des menaces hybrides et en developpement ainsi que             des transformations de la guerre, nous estimons utile de             republier le document ci-après paru sur la Revue Défense               Nationale de juin 2014: 
 "L’analyse à chaud de               la dimension militaire de la crise russo-ukrainienne             révèle des combinaisons nouvelles. Forces spéciales et             milices activées de concert conduisent une guerre limitée             aux effets décisifs."
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Dans la cadre d'une stratégie générale visant la             fédéralisation de l'Ukraine, la Russie mène une action sur             l'échiquier régional qui peut être analysée comme une             réhabilitation de la manœuvre et de la « guerre limitée ».
 
LA SIDÉRATION PAR LE BLITZ
En effet, l'utilisation des forces spéciales en vue de la réalisation d'une « surprise stratégique » a pour fonction la stabilisation partielle de l'Est du pays et la maîtrise apparente de l'ordre. Cette action, en appui d'une revendication populaire, a été couverte par une « manœuvre simulée » ; la mise en œuvre d'un Blitzkrieg à fort impact politique. En s'appuyant sur la « surprise » des forces spéciales « non identifiées », la partie russophone de l'Ukraine a tiré profit d'une supériorité tactique momentanée pour changer la règle du jeu et le terrain de la confrontation. Elle a fait recours aux moyens tactiques traditionnels du faible contre le fort (l'armée ukrainienne est supérieure en moyens de combat mais politiquement décapitée et démoralisée) sous l'effet d'une jonction de l'appui populaire et de l'efficacité de l'initiative.
 
 L'anonymat des forces a permis, dans plusieurs villes de             l'Est de l'Ukraine, de profiter de la manœuvre             opérationnelle sur les arrières, conduite par la machine du             Blitz liant les « actions spéciales » de l'avant, la défense             territoriale intermédiaire et la supériorité militaire             extérieure. L'utilisation de ces « forces non identifiées »             a joué un effet de surprise et a ouvert un nouvel âge             militaire pour les spetsnaz (commandos) et pour l'action             indirecte, produisant la guerre des nerfs. A l'action de ces             forces a été assignée une mission de contrôle, de             stabilisation et de mise en œuvre d'une variété de parades             asymétriques, appuyées sur la menace d'une intervention à             plus grande échelle. Pour son lien avec la manœuvre du             Blitz, le mode indirect d'action des forces spéciales, à             caractère tactique recherche la décision au niveau             psychologique, par des moyens de coercition             psycho-politiques. 
 
 Le Blitz, acté pour mener une « guerre courte, rapide et             limitée » par l'attrition des forces, appuyée sur la             « Narodnaïa Volia » (la volonté populaire), agit dans le but             de produire un effet d'intimidation et de chantage et,             idéologiquement, dans le « but de protéger » et de maintenir             la paix. L'effet politique du combat se joue dès lors sur             les arrières de l'adversaire (forces ukrainiennes) par une             combinaison totalement nouvelle de la « surprise             stratégique », d'un recours au renseignement stratégique et             de l'opacité nécessaire à une action tactique à buts             multiples. L'objectif est d'interdire aux adversaires de             pratiquer une « guerre sans règles » ou des « guerres             libres ». 
 
 Dans ce cas, le rôle des forces spéciales est celui d'un             multiplicateur de puissance et d'un complément mais non d'un             substitut des forces mécanisées du Blitz. Elles remplissent             une mission de reconnaissance, de stabilisation,             d'assistance anti-forces, d'une occupation des bâtiments             publics à haute importance logistique, de récupération             d'armes et d'échanges d'otages. La mobilisation de recrues,             comme force auxiliaire d'élites, a favorisé l'accroissement             des insurgés. L'utilisation des spetsnaz a été conforme à la             doctrine « post afghane » visant à jeter les bases d'actions             de « state building », appuyée sur un modèle tactique             d'insurrection populaire. La menace d'une action massive de             moyens mécanisés a permis à « l'action de niche » de situer             le phénomène de conquête entre désagrégation sociétale et             « main invisible » du « tiers intéressé » extérieur.
 
LA GUERRE LIMITÉE ET MASQUÉE, PARADIGME DU XXIÈME SIÈCLE ?
  Peut être considérée « guerre limitée » non             seulement celle qui utilise l'attrition directe avec les             forces adverses, mais aussi celle qui emploie la violence             armée indirecte de forces insurgées ou irrégulières, à             l'intérieur d'un espace politique à soumettre à contrôle.             Est également une guerre limitée celle où il existe un             intérêt commun à la reconnaissance mutuelle d'un seuil             d'arrêt des hostilités et à l'ouverture de négociations sur             l'acceptation de zones de tutelle réciproques. Et si la             guerre multipolaire du XXIème siècle n'obéissait pas au             concept de la guerre totale du XXème siècle, mais à celle             d'une série de « petites guerres » ou des « guerres limitées             et de basse intensité » ? 
 
 La « guerre limitée » demeure l'avant dernière option d'une             manœuvre stratégique d'envergure, ouverte et déclarée. Cette             dernière fait craindre un conflit étatique de haute             intensité, comportant une  supériorité aérienne, une             concentration de moyens et de manœuvres, imposant la             supériorité de l'offensive sur la défense et un effort             général de coordination. Pour réussir la manœuvre, avant             d'avoir atteint le « point culminant » de l'action et en             évitant le retournement de la défensive sur l'offensive, le             Blitz doit se prémunir de l'usure des forces, de la             mobilisation des alliances, de l'isolement international, et             in fine d'une campagne médiatique et des opinions, intense             et prolongée. La menace d'utilisation de la force doit être             un élément latent de la politique.
 
 Par ailleurs, ne pas faire la guerre une « semaine de trop »             signifie, politiquement et stratégiquement, ouvrir plus vite             une phase de stabilisation, qui fait suite à un cycle             offensif victorieux et qui risque d'éroder le capital de             crédibilité et de confiance durement acquis. Un prolongement             de l'offensive ralentirait les exigences de négociation             diplomatique et de réforme doctrinale de l'appareil             militaire en situation de crise politique et budgétaire et             pourrait provoquer une intervention de grands antagonistes.             
 
 A cette intervention se rajouterait la mise en action de             réseaux médiatiques, qui introduisent, dans l'équilibre des             grandes puissances, des facteurs de déstabilisation et de             tension. Si la stratégie générale est un instrument de la             politique en temps de paix, la diplomatie et la négociation             en sont des instruments convergents tout autant que l'usage             de la force. 
 
 Le pire des scénarios pour la Russie serait de se laisser             entraîner dans une guerre irrégulière et une montée en             puissance de compétiteurs stratégiques se prévalant d'une             campagne médiatique, appuyée sur la valeur subversive de             l'image et de ce fait d'un moyen non maîtrisé par la             stratégie. Une triple répercussion politique pourrait se             dégager de cette intervention : un frein au rôle de             médiateur actif de l'Allemagne (et de la France) ; un             durcissement et resserrement des pays Baltes et de la             Pologne dans l'OTAN et autour des États-Unis ; une             radicalisation de la stratégie des États-Unis, tentés de             garantir la sécurité de l'Occident dans un jeu croisé entre             Corée, Japon et Chine. Un Blitz en Europe resserrerait             également les relations russo-chinoises et pourrait être le             signe précurseur, en Europe, d'une accélération de             l'Histoire et d'une guerre identitaire dont le « centre de             gravité » de l'action demeure le ralliement de la             population. Celle-ci pourrait se soulever contre l'occupant             si l'insécurité gagnait la « bataille des cœurs et des             esprits ». Par ailleurs, le « pouvoir égalisateur du             réseau » entre décideurs et société civile, est susceptible             d'importer la révolte dans le cœur même de la Russie. Or,             l'insécurité qui gagne l'Ukraine et l'Europe, montre             l'absence d'un cadre politique  où la puissance impose le             respect de l'ordre et modifie le comportement des parties             aux prises. 
 
 Puisque la conflictualité n'obéit à aucune autre loi qu'à la             dialectique des volontés et à sa propre polarisation, les             stratèges redécouvrent l'importance de penser la stabilité             après la guerre et le « paradigme de la paix », d'une             « meilleur paix » à la place d'une « paix injuste et             imposée » après celui de la « grande guerre » d'un conflit             multipolaire entre puissances globales. 
 
 Par ailleurs et in fine, la stratégie d'un acteur global             pourrait utiliser les « guerres limitées » comme moyens             d'une stratégie multipolaire. Ainsi, les moyens de la             « petite guerre » ou d'une série de « guerres limitées » sur             des théâtres ciblés (Géorgie, Ukraine, Syrie) seraient             conçus comme moyens d'une stratégie générale d'usure, vis à             vis de l'adversaire. Le but de guerre serait de faire             reculer l'adversaire et de l'affaiblir. Ainsi, la stratégie             générale se décomposerait en interdiction dissuasive à             l'intérieur des frontières de l'attaquant et s'ajouterait à             cette insularisation une stratégie déstabilisante à             l'extérieur, manœuvrant en puzzle et visant la fragmentation             politique de l'adversaire. 
 À la logique défensive du barrage tracé sur le terrain se             rajouterait une manœuvre en forme du Blitz, de projection ou             d'appui, conçues comme éléments d'une même unité doctrinale.
 
   
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