« CONCERT MONDIAL DES NATIONS » ou « GOUVERNANCE GLOBALE RENFORCÉE » (G8, G20, FMI, BANQUE MONDIALE) ?

Multipolarité et multilatéralisme Le rôle de la Confédération helvétique dans les grandes négociations internationales
Auteur: 
Irnerio SEMINATORE
Date de publication: 
24/6/2015

 

« CONCERT MONDIAL DES NATIONS » ou « GOUVERNANCE GLOBALE RENFORCÉE » (G8, G20, FMI, BANQUE MONDIALE) ?

Multipolarité et multilatéralisme
Le rôle de la Confédération helvétique dans les grandes négociations internationales

 

 

Bruxelles, 12 juin 2015

Le 12 mai dernier, l'Institut Européen des Relations Internationales a organisé sa neuvième session de l'Academia Diplomatica Europeae, intitulée “Concert mondial des Nations ou gouvernance globale renforcée”. Le chairman de la conférence était Irnerio Seminatore, directeur de l'Institut Européen des Relations Internationales. Après avoir présenté les différents protagonistes de cette conférence, Professeur Irnerio SEMINATORE a introduit le sujet par les quelques remarques qui suivent.

Le thème de la conférence porte sur l'ordre international. L'inégalité des engagements des différentes puissances dans le domaine de la multipolarité, qui est un aspect structurel du système international, entraîne l'exigence d'une analyse approfondie des deux synonymes : le multilatéralisme et la multipolarité, qui ont une assonance commune mais qui ont une portée différente. Le thème le plus développé par la littérature est le multilatéralisme, entrée dans le vocabulaire depuis les accords de Bretton Woods. Elle est l'idéologie dominante de l'Union européenne. La multipolarité quant à elle, évoquée dans la presse internationale, est un thème dont les contenus sont définissables seulement par une analyse de la morphologie du système international, de la hiérarchie de puissances des différents systèmes internationaux. La multipolarité d'aujourd'hui n'a pas été l'objet d'une si grande littérature que n'a pu connaître la bipolarité.

Il y a deux principes guidant la multilatéralisme, que suit l'Union européenne dans ses politiques : la Balance of Power, et le principe de réciprocité, qui est l'application du principe de l'égalité formelle au système international. Identifier le multipolarisme au multilatéralisme équivaut à confondre l'essence de la politique internationale, la rivalité de puissance, avec le Negos, l'action diplomatique. La notion de polarité exprime l'idée d'un regroupement de force et de capacité de long terme en vue d’une grande guerre. La multipolarité a pour référent fondamental la sécurité, qu'elle soit collective ou westphalienne.

Le multilatéralisme est un cadre permettant à une coopération et négociation de prendre place, au développement des libertés et valeurs que nous considérons comme universel.

Pour conclure sa présentation, Monsieur SEMINATORE a ainsi mentionné les cinq formes de multilatéralisme existant à savoir le paritaire (OMC), le directeur (OTAN), la prévention des crises (négociations sur l'Iran), de croisade/ de coalitions, de contestation/ de critique. La multipolarité définit à long terme des stratégies du système international.

Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur Juan José GOMEZ CAMACHO a ensuite pris la parole en commençant par une réflexion simple. « Nous voulons donner de la logique à tout ce que nous faisons, même là où il est bien difficile d’en donner ». Du point de vue d'un praticien, la distinction entre multipolarité et multilatéralisme est beaucoup plus complexe, car au final, toute politique étrangère est semblable. Tout n'est qu'une question d’intérêt. Selon Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur Juan José GOMEZ CAMACHO, malgré le mouvement de pensée qui perçoit le monde comme toujours plus complexe et difficile, Monsieur l'Ambassadeur assure qu’en réalité, cette complexité a toujours existé. Nous vivons cependant dans un monde en mutation, où la situation internationale évolue. Suivant les propos de Junker, Monsieur l'Ambassadeur indique ainsi qu'au 19ième siècle, l’Europe représentait 50% du GDP et représentait 27% de la population. Aujourd’hui, cela ne représente plus respectivement que 27%, et 12%. En 2050, il est prévu qu’aucun pays de l’Union européenne n’aura la taille, la capacité économique pour rester dans le G7. 100 millions de migrants seraient nécessaires pour contrebalancer la population vieillissante de l’Europe. De nouvelles puissances émergent et l’Union européenne devient de plus en plus petite.

Pour ce qui est des Nations Unies, ses principes et le multilatéralisme, Monsieur l'Ambassadeur Juan José GOMEZ CAMACHO réaffirme son soutien et celui de son pays en la matière, bien qu'il reconnaisse les faiblesses et difficultés que connaît aujourd'hui cette organisation. Chaque système a besoin de se moderniser, de changer. Or le changement peut être difficile a enclencher.

Aux yeux de Monsieur l'Ambassadeur, l’un des challenges de l’Union européenne, pour participer au système, est de développer sa capacité de « bridgebuilding », notamment avec les puissances émergentes, ces pays en voie de développement qui ont de plus en plus de pouvoir. L’UE doit apprendre à développer ces « common bridges », comprendre que la seule manière d’aller de l’avant est d’avoir des valeurs communes, en comprenant les intérêts de tous. Le monde actuel est interconnecté, les challenges sont globaux. C'est dans cette optique que Son excellence Monsieur l'Ambassadeur réitère l'importance du G20, des organisations représentatives du monde actuel.

Pour illustrer ce soutien du Mexique envers le multilatéralisme, Monsieur l’Ambassadeur rappelle la participation de son pays dans MIKTA (Mexique, Indonésie, Corée du Sud, Turquie et Australie). Ils se sont ainsi rassemblés grâce à leur soutien dans les institutions existantes, en un modèle de gouvernance, qui a pour but d’instaurer une paix et une prospérité collective.

Alan BOWMAN, chef adjoint de la mission du Canada auprès de l'Union européenne, et chef de la mission du Canada auprès du Conseil de l'Europe, a ensuite pris la parole et traité du travail qui se fait au sein du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada en matière de prospective. Ce travail vise à identifier les grandes tendances qui sont les plus susceptibles d’avoir un impact sur la politique étrangère du Canada au cours des années à venir. Chaque année, le ministère identifie cinq à dix grandes tendances qu’il analyse en profondeur. Cette année, six grandes tendances ont été identifiées :

  • Une économie mondiale en transition : Monsieur BOWMAN insiste sur l'importance plus grande des marchés émergents. Le poids de l'Union européenne et des États-Unis diminuent au profit des états émergents. Est perçue également l'interdépendance des sociétés. Cela étant dit, l’Union européenne reste un acteur très important, d’où le désir du Canada de renforcer ses relations avec l’Europe par l’entremise d’un accord de libre-échange (le CETA) et d’un accord de partenariat politique.

  • L'émergence ou réémergence de nouveau ou anciens agents perturbateurs : Sont étudiés sous ce point le nombre croissant d'acteur qui rejettent et tentent de compromettre le système international actuel. Le monde est aujourd'hui plus complexes pour Monsieur BOWMAN. La technologie permet à ces mêmes acteurs d'avoir plus d'impacts.

  • Une gouvernance mondiale en évolution : le G7 a retrouvé un certain dynamisme sur les grands défis mondiaux. Le Canada tire une grande fierté de la création du G20, dont l'impulsion vient directement du Canada comme le souligne Monsieur BOWMAN. Le Canada croit au multilatéralisme, et a d'ailleurs soutenu dès ses débuts la déclaration universelle des droits de l'Homme. L'ONU fait aujourd'hui face à des défis énormes, dans un contexte multipolaire, où tous les acteurs ne sont plus étatiques (« multistakeholder world »). Selon Monsieur BOWMAN, la conférence à Paris sur le changement climatique nous permettra de voir dans quelle quelle mesure tous ces acteurs réussiront à s’entendre sur la façon dont le monde doit répondre à un défi pressant. Le Canada pour sa part appuie les efforts visant à l’établissement d’un accord international à Paris qui comportera des engagements importants et transparents de la part de tous les grands émetteurs.

  • L'’importance croissante des ressources naturelles, de l'énergie ainsi que de l'environnement.

  • Une révolution technologique : transformation dans la manière dont on fait les choses. L'impression en 3 dimensions pourrait, par exemple, révolutionner le monde de la manufacture. Il y a un potentiel de changement du marché de l'emploi important, impliquant des défis d'intégration, d'éducation.

  • La hausse des inégalités de par le monde, nécessitant plus que jamais des politiques de développement international efficaces.

Comment le Canada s'adapte-t-il dans ce contexte ?

Les 5 grandes priorités du gouvernement ont été identifiées comme tel, la prospérité des canadiens et du reste du monde, les États-Unis, l'Asie constituée de pays émergents, dynamiques, ce qui change le visage de la société canadienne en raison de l'immigration importante, la sécurité mondiale, la gouvernance globale, et la promotion des valeurs chères au Canada, et enfin la volonté de réduire la pauvreté dans le monde et fournir de l'aide humanitaire, entre autres en mettant l’emphase sur l’objectif de développement du millénaire portant sur la santé des enfants et des mères.

Enfin, Monsieur le Ministre Emmanuel BICHET, chef adjoint de la mission de la Suisse auprès de l'Union européenne, a commencé son intervention par un retour sur le thème du « bridgebuiding », et la nécessité de travailler avec les nouvelles puissances mentionné par Monsieur l'Ambassadeur GOMEZ CAMACHO, et le rôle que pourrait jouer la Suisse au sein du G20. La Suisse a en effet une expérience particulière de la diversité de par son histoire dont elle peut se servir pour le « bridgebuilding ». La Suisse ne se voit pas comme une puissance, étant donné sa taille, son économie, mais comme un acteur qui, grâce à son histoire, a les outils utiles pour contribuer à la paix dans le monde, à la mise en place de négociations.

En ce qui concerne le multilatéralisme, Monsieur le Ministre BICHET pointe les difficultés rencontrées par l'ONU mais à ses yeux, l'ONU reste un acteur clé. Pour la Suisse, le système fonctionne. Certes, il n'est pas parfait, mais les états dialoguent tout de même au sein de ce forum. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les états défendent toujours leurs intérêts propres, les décisions découlent de l'équilibre de ses intérêts. En terme d'illustration, Monsieur le Ministre BICHET a ici mentionné le Trade in Service Agreement, qui, malgré les vives critiques, est aujourd'hui discuté à Genève en commission ad hoc mais qui sera ensuite pris en main par l'OMC, où la discussion reprendra dans un cercle beaucoup plus large et représentatif de la société.

De par sa situation géographique et stratégique, la Suisse est un acteur essentiel en matière de « bridgebuilding ». Au cours de son Histoire, la Suisse a d'abord utilisé les principes de l'expansionnisme militaire pour les abandonner dès 1515 au profit du mercenariat, et ce jusque 1848, date à laquelle le principe de neutralité a été officiellement inscrit dans la constitution, faisant de la Suisse ce qu'elle est aujourd'hui.

Comme le rappelle Monsieur le Ministre BICHET, l'Histoire de la Suisse lui a permis de développer certaines compétences, certains attraits, la rendant unique : l'absence de passé colonial, le fait d'être un intermédiaire honnête sans intérêt caché. De plus, la Suisse, avec ses positions de principe, est dite peu influençable. L'une de ses qualités est ainsi sa prévisibilité et sa durabilité (tous les partis politiques étant représentés au gouvernement, les positions ne changent que peu sur la durée). Enfin, la Suisse n'appartient à aucun bloc auquel elle serait censé se conformer.

La Suisse peut ainsi faire valoir ses qualités en matière de médiation, notamment entre la Turquie et l'Arménie, en matière de négociations ou encore en matière de facilitation, à savoir faciliter les négociations, notamment d'un point de vue logistique, en donnant aux acteurs les moyens de se rencontrer et de discuter des problématiques, tel que pour les négociations sur le nucléaire iranien au encore sur le conflit syrien (Genève I et II qui a le mérite, selon Monsieur le Ministre BICHET, même si aucune solution n'a pu être trouvé à l'heure actuelle, de rassembler la communauté internationale).

La prochaine conférence de l'Institut Européen des Relations Internationales se tiendra à l'INFOPOINT EUROPA le 2 juin et aura pour sujet Daesh et l'ère de l'asymétrie.