THÉORIE ET ÉPISTÉMOLOGIE DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES. BRÈVES NOTES SUR LA COMPLEXITÉ.

État et système international. "Balance of threats" ou " Balance of power"?
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
1/8/2011

ETAT ET ASYMETRIE

Nous sommes entrés dans l'ère de l'asymétrie et celle-ci, comme statut du réel et dynamisme efficient de l'inégalité de puissance demeure au cœur du système, marqué par un déplacement géopolitique des aires de conflits vers les zones de fracture culturelles.

Les nations-continents et les États-civilisations se confirment comme les pivots des régions stabilisées et la sécurité collective, cantonnée à un rôle mineur se déploie dans les conflits périphériques. Simultanément le multipolarisme s'affirme comme tendance à la régularité classique des regroupements politiques dans l'organisation des relations internationales entre grandes unités intégratrices. La compréhension de cette évolution exige de faire recours à la géopolitique, au réalisme et au relativisme historique pour dégager une vision systémique de la complexité et des alliances de sécurité. Ces dernières sont par ailleurs les seules à rétablir la symétrie sur laquelle repose tout système d'équilibre international.

Dans ce contexte l'État reste le modèle référentiel des relations entre unités agissantes, en mesure de prévenir les grands basculements des forces et d'interdire l'extension du chaos et des tumultes chaotiques.

 

L'État est l'instrument de centralisation et de rationalisation des intérêts et des capacités de contrainte par définition. Il demeure le cadre normatif de l'homogène et la catégorisation historique du relatif et donc un instrument de prévisibilité et de calcul dans un monde dominé par l'incertitude.

Au delà des intérêts géopolitiques et stratégiques, l'insécurité et la menace du monde actuel découlent de l'hétérogénéité profonde des valeurs, des motivations et des principes, bref de la différentiation éthique du monde, qui est la vraie nature de la complexité du système international.

La raison de l'imprévisibilité et de la « Balance of Threats » ne repose donc pas sur l'instabilité chronique de la « Balance of Power »1 mais sur l'aléa permanent que font peser les motivations perturbatrices sur les conflicts entre unités politiques, symétriques et asymétriques, aux comportements toujours imprévisibles.

Au cœur de cet environnement incertain, l'État demeure un facteur de prévention sécuritaire et un élément de continuité entre systèmes internationaux disparates.

En effet tout système est construit. Il est le produit conceptuel d'une perception de la sécurité qui oriente le comportement de ses unités constituantes.

En ce sens l'État est l'expression d'une rationalité partielle, d'une lecture de l'hétérogène dont la forme historique confirme la différentiation éthique du monde.

 

Il représente le pouvoir normateur par définition et de ce fait la pièce maitresse de la loi internationale comme contrat aléatoire et facteur de pacification par le droit – force.

L'État n'est guère l'essentialisation de la Raison à l'œuvre dans l'Histoire et l'incarnation arbitraire d'un intérêt général abstrait, mais un appareil rationnel de la contingence historique, résultant de compromis socio-politiques toujours changeants.

Il est délié comme tel de toute universalisation du modèle occidental et il demeure l'expression intrinsèque, non seulement du primat du politique, mais des conceptions dominantes des personnes nationales et des ambitions récurrentes des communautés humaines le seul acteur politique véritable du multirégionalisme et de la globalisation, systémique ou planétaire.

 

 

LA RELATION ENTRE LA « BALANCE OF THREATS » ET LA « BALANCE OF POWER »

Cette relation est déterminée par le postulat initial sur lequel repose la nature et la morphologie du système et de ce fait sur le type de connaissance adoptée pour la saisir.

Si la condition structurelle du système est l'anarchie, comme absence institutionnalisée d'un pouvoir normateur, l'insécurité est permanente, l'affrontement toujours possible et la probabilité d'occurrence des conflits élevée.

Dans ce type de lecture, la menace est la modalité de l'acteur qui veut maximiser sa revendication ou son gain par l'exhibition offensive de la force (« Balance of Threats »).

 

Si, en revanche, la nature du système est l'indéterminisme probabiliste des conduites (belligènes, coopératives ou mixtes), la sécurité qui découle du pouvoir réequilibrateur d'un acteur (« Balance of Power ») constitue un objectif raisonnable pour limiter les conflits et réduire l'éventail des menaces.

La condition permanente de la « Balance of Threats » (où la sécurité est une conséquence et un dérivé de la menace) exclut une pacification même provisoire de la vie internationale et fait de l'insécurité la causalité essentielle qui caractérise les situations de tension aiguës; situations qui précèdent les moments de vérité ou le recours à la force.

Le but politique de la « Balance of Power », fondé sur l'anticipation et le long terme est absent de la « Balance of Threats », qui resulte d'un équilibre fondé sur l'urgence de survie et vise à protéger les acteurs faibles et en désarroi dans une conjoncture de rupture des compromis et d'affrontement imminent.

 

La « Balance of Power » conduit à une évaluation globale du système, défensive et dissuasive, et traduit une lecture politique de sa morphologie générale, tandis que la « Balance of Threats » institue la menace en une occurrence presque mécanique de rééquilibrage stratégique et glisse vers une quête de rétorsion ou de préemption.

En synthèse, la « Balance of Power » est conservatrice, anticipatrice et calculatrice ; elle préserve la stabilité, en opérant par des interactions politiques et des ajustements faibles.

La « Balance of Threats » est réactive, perceptuelle et destabilisatrice, car elle suscite des interactions fortes, dictées par la gravité des incertitudes et par une évaluation offensive des capacités adverses.

 

La première vise la sauvegarde globale du status-quo, la deuxième instaure un stress permanent et une incertitude obsessionnelle. Or le type de calcul qui caractérise les deux Balances est inséparable des contextes expérimentaux (culturels, traditionnels, historiques, etc.)

Ainsi le principe du calcul et sa limite est fondé, dans la « Balance of Power », sur la rationalité expérimentale, sur le passé, l'historique, le référentiel. Cette rationalité demeure la valeur normative de la prévision et l'expression de sa cohérence rigoureuse. De surcroit et en termes de procès, la « Balance of Power » traduit la continuité entre acteurs nationaux et systèmes internationaux.

 

Cependant l'existence d'autres variables, sub et transétatiques, exige une référence à des potentiels de nuisance, bouleversant les principes de calcul venant des réducteurs de complexité que sont les États.

La « Balance » classique, comme fondement ontologique du système international n'exclut pas une complémentarité de théories, ni une conjugaison des variables, symétriques et asymétriques, à condition d'accepter que le principe de compréhension (« Balance of Threats ») constitue une cognition partielle du principe de connaissance (la « Balance of Power ») puis de consentir également que l'intégration holistique de la « Balance of Power » impose une posture cognitive à l'acteur.

Ce dernier n'est plus seulement spectateur des équilibres souhaitables, mais perturbateur des mêmes, car l'impact de la prévision sur les conduites altère le statut inclusif de la connaissance comme dans les sciences physiques.

 

Dans notre cas, le sujet de l'action demeure le politique, livré à une interrogation stratégique et méta-historique d'anticipation du système ou de survie et, au plan global, d'altération de l'équilibre général.

 

En termes épistémologiques, si l'ontologie révèle la nature de l'être (historique), et la force de l'Etat, sa capacité d'action, sa prévisibilité et un certain type de « ratio », le mouvement met en scène les comportements, les variables, le champ des rivalités, les motivations, les cultures du risque, bref les indéterminismes.

Il en résulte ainsi que la « Balance of Threats », est politiquement vide et hypothétiquement indéterminée. En effet, elle est constituée d' un ensemble de variables sur lesquelles ne peut intervenir un quelconque facteur de modération commandé par la raison politique et donc par une idée de limite, ni par une quelconque logique de paix dictée ou d'intérêt partagé.

 

Affermir le primat épistémologique de la « Balance of Threats », cela veut dire s'en tenir presque uniquement à la logique des dangers perceptuels, autrement dit désincarner la rationalité de la riposte, de sa substance historique et de son fondement permanent, la société et le pouvoir, sa volonté ou sa cohésion.

À l'échelle globale cela signifie également délier le choix d'agir des demandes ou des revendications politiques multiples venant du camp adverse et de son propre camp.

La différence conceptuelle entre « Balance of Power » et « Balance of Threats » repose en définitive sur la non confusion de la dualité des matériaux expérimentaux de référence qui a pour but d'éviter de commettre une « erreur de catégorie » épistémologique (G.Ryle). Le décideur et l'analyste doivent éviter la confusion entre l'historique, le constant et l'exploré (la « Balance of Power ») et la loi probabiliste des relations de nuisance (« Balance of Threats ») en leurs répercussions politiques.

En effet les menaces traduisent le péril de l'hétérogène et la nature indéscernable de la complexité.


SOCIOLOGIE HISTORIQUE OU FORMALISATION.

Réalisme ou néoréalisme. Aron ou Waltz ?

Partons d'un paradoxe. L'hypothèse d'établir l'unité générale des sciences politiques internationales sous l'autorité dominante de la sociologie de l'État et du pouvoir politique2 et donc de façon générale de la « Balance of Power » comme savoir universel, est-elle une exigence sensée ou une conjecture arbitraire ?

 

La « Reine des Sciences » de la politique internationale s'articulerait alors en deux figures emblématiques : l'équilibre stationnaire (le politique ou l'État, comme cristallisation des relations socio-politiques d'une conjoncture historique) et l'équilibre dynamique (la politique, les perturbations, la loi du mouvement ou le procès historique).

Le premier serait l'ossature brute de toute ontologie historique, la synthèse de la rationalité dominante nationale et elle exprimerait également un certain type de déterminisme extérieur.

La deuxième, l'indéterminisme « pur », le monde des particules politiques en mouvement, l'univers des électrons libres et représenterait le moment extrême de l'hostilité, qui marque l'épuisement ou l'échec des accords possibles. Il désignerait le moment signifiant de l'inimitié radicale, visant à plier la volonté de l'autre (ou des autres) et donc à soumettre sans combattre, ou alors à en venir à l'affrontement (la Balance des menaces).

Si la « Balance of Threats » sert à réagir aux crises de l'immédiat et du court terme, la « Balance of Power » vise à rechercher la stabilité et la paix et à prévenir les dangers du long terme.

 

Bruxelles, le 27 Juillet 2011

1La « Balance of Power » pilier anti-sysmic de la sécurité, est un instrument de prévention sécuritaire, dans un environnement incertain et aventureux. En effet elle recouvre un large espace politique qui va de l'Hégémonie aux alliances et des stratégies militaires à l'organisation des armées et encore aux types de combat et de conflit engagés par Hégemon.

2A la manière de la tentative de O.Von Neurath en 1930 dont la thèse revient à atteindre l'unité générale de la science sous l'autorité exclusive de la physique promue en "Reine des Sciences".