L'UNION EUROPÉENNE, LES ÉTATS UNIS ET LA RUSSIE FACE À LA CRISE UKRAINIENNE

Trois projets politiques et trois politiques étrangères pour un monde multipolaire
Auteur: 
Irnerio SEMINATORE
Date de publication: 
6/6/2014

Politique, diplomatie et stratégie sur la dialiectique de la rivalité

Toute politique étrangère est l'expression d'une société, d'une culture et d'une forme particulière d'historicité. Elle comporte, en son impureté praxéologique, différents mélanges de moyens et de fins, de diplomatie et de stratégie, de violence et de volonté. L'imbrication de tradition et de liberté, de « hard » et de « soft power », des doses d'influence et de facteurs de contrainte y apportent des composantes essentielles. Comme projection de l'idée de société vers le monde extérieur, toute politique étrangère est le miroir d'une identité, d'une éthique et d'une conception du monde. Aujourd'hui, le jeu diplomatique et militaire fait intervenir dans la définition d'une politique étrangère les dimensions nouvelles de l'information et de la décision en temps réel, des réseaux sociaux et des moyens financiers de soutien, de pression et de chantage, représentés par les grandes places financières internationales et par les grands centres d'influence de la pensée économique et stratégique.
Cependant, ce jeu n'élimine pas la dialectique du conflit et de la lutte, ni la « loi de l'autre » d'où « résulte dans la guerre une action réciproque qui, en tant que concept, doit aller aux extrêmes » (Clausewitz).
L'unité de l'appareil décisionnel, regroupant au plus haut niveau du pouvoir les capacités de conception, de décision et d'action, demeure le noyau de souveraineté, de contrainte et de responsabilité politique le plus authentique et le plus élevé.
Il ne peut y avoir de politique étrangère sans volonté, sans rivalité, sans intention hostile et dans la dispersion des moyens de puissance et on ne peut concevoir de partage de souveraineté pour les grands acteurs de la vie internationale. Très concrètement, l'« idée » de primauté exclusive ne peut cohabiter avec d'autres, en matière de conceptions institutionnelles et de mise à exécution stratégique. En effet, sa fonction principale est de forger et de créer, si nécessaire, par la violence politique et sur le terrain de l'histoire, une autre image du monde.

L'unité du projet politique, des ambitions diplomatiques et des moyens militaires est plus que jamais indispensable à la vie ordinaire des relations internationales, où la normalité est constituée de « cas d'exception » constants, qui caractérisent toute situation de rivalité, d'inimitié et d'hostilité. Lorsque le projet politique prétend forger une nouvelle image du monde ou façonner celle-ci à partir d'une cause universelle ou d'une mission historique, prend forme une “grande stratégie”, autrement dit une configuration de la politique intégrale permettant de conduire des actions diplomatiques et stratégiques à l'échelle globale et dans le cadre d'une stratégie où la dimension militaire dessert une vision politique sur le long terme.
La subordination des moyens à la fin (Zweck) et de la guerre à la politique implique une conception de la politique comme considération globale de toutes les circonstances ainsi que des conséquences lointaines et donc d'une part la conduite de la diplomatie comme commerce politique avec l'ensemble des unités politiques et de l'autre la convergence de la stratégie comme ensemble des opérations de coercition vers les mêmes objectifs et les finalités. La coordination de la diplomatie et de la stratégie acquiert une importance particulière en raison de la pluralité des objectifs et des types de conflit à mener.

Ces notes tâcheront de mettre en relief les trois aspects de toute politique étrangère, celui de la personnalité historique, de la culture nationale et du leadership institutionnel et inscriront cette unité au cœur des dangers, toujours imminents, et des risques, toujours tragiques, des transformations violentes et de la dialectique du monde.

Politiques étrangères et dynamiques historiques

L'examen des ambitions politiques nationales et celui de la politique étrangère d'un pays exigent de concentrer l'analyse sur trois dimensions de la dynamique historique :

    1. celle de l'identité et de l'appartenance culturelle dans un monde hétérogène et ouvert marqué par le terrorisme globalisé d'Al Qaida, l'imbrication croissante des conflits, locaux, régionaux, transnationaux mais aussi les guerres de religions et les guerres à distance, clandestines et préventives ;

    2. celle de la conjoncture historique et de l'environnement stratégique et donc du type de rivalité et de cohésion du système international. Il s'agit là de la dimension des parentés, des affinités et des alliances, autrement dit de la convergence ou de la divergence des objectifs nationaux: la paix, la coopération ou la guerre (comme instrument et poursuite de la politique par des moyens militaires) ;

    3. pour terminer, la dimension supérieure de la politique étrangère, celle du « projet politique » porté par des acteurs en compétition. Dans ce cas, le but est de proposer un « modèle de société » pour le monde, qui soit à la fois en acte et en devenir.

Les sociétés n'avancent pas sans modèle ou sans finalité et surtout pas sans leadership. Ainsi, la politique extérieure d'un pays porte en elle-même et réunit singulièrement dans une forme de calcul qui se veut Zweckrational, la personnalité historique, la culture nationale et le leadership institutionnel. Sont à inclure dans la dimension culturelle les moyens matériels (économie, droit et force) et les moyens spirituels (philosophie, éthique et grandes conceptions du monde).

Les trois variantes historiques de l'occident
Européenne, Russe et Américaine

D'une manière plus générale, la figure du monde procède de la différenciation culturelle et politique qui permet de distinguer trois variantes, historiquement coexistantes de l'Occident, partageant la reconnaissance de valeurs communes ou fondamentalement proches :
-la variante continentale ou européenne
-la variante eurasienne ou russe
-la variante insulaire ou américaine.

À ces trois variantes correspondent trois projets politiques, trois formes de société, trois cultures stratégiques et trois politiques étrangères. Puisqu'il ne peut y avoir de politique extérieure sans histoire et sans tradition diplomatique, l'interprétation et la lecture de l'Histoire sont fondamentales pour la définition d'une politique inter-étatique. En effet, on y retrouve les leçons de l'expérience géopolitique du passé, la perspective et l'interprétation du présent historique.

- Pour l'Europe continentale, le projet fondateur est celui d'une société pacifiée et d'aisance élevée, portée par l'innovation et l'information, mais apathique à la logique des rapports de forces et se percevant comme puissance “civile” régionale. Cela dessine les contours d'une puissance conservatrice et de “statu quo”, à l'organisation supranationale, fonctionnaliste et dépolitisée, qui a fondé sa politique étrangère et de voisinage sur le concept de stabilité et sur ses trois corrélats: l'empire du droit et du compromis normatif, le développement économique et social et la gestion des crises.
La société européenne s'appuie sur un modèle de gouvernement doué d'un régime parlementaire pluraliste, de libertés publiques étendues et d'une économie sociale de marché. Ce modèle est fondé sur le dépôt des armes et le dialogue diplomatique. Dans le contexte de l'après-guerre, la politique étrangère européenne s'est commuée en politique domestique et a égaré le fond des relations internationales, fondées sur les relations de puissance et de violence conquérante (Max Weber). Le bras armé de l'Europe a été tout au long de la guerre froide jusqu'à nos jours l'Alliance Atlantique (OTAN). C'est à partir du Traité de Maastricht (1992) que les États membres de l'Union européenne ont décidé de se doter d'une politique étrangère et de sécurité commune dans le but de chercher la satisfaction parétienne de l'intérêt individuel dans le cadre d'un intérêt collectif. L'Europe, puissance « soft », compte 1818 Think Tanks et un pouvoir attractif fragmenté, doublé d'une représentation du monde idéalisée qui a fait de la norme et du droit des moteurs de l'Histoire. Elle ne contribue que marginalement à la dissuasion nucléaire et presque pas à la stabilité stratégique, à l'exception de la France.

- Le modèle russe est celui d'une société construite dans la durée autour d'une structure de pouvoir centralisée, à vocation messianique et au passé impérial, se caractérisant par sa verticalité et par un modèle présidentiel sans contrepoids. Ce type de pouvoir, soutenu par une oligarchie restreinte cumule l'unité du commandement du pouvoir civil et du pouvoir militaire et règne sur la dissociation des rôles et des secteurs, économiques, politiques et stratégiques. Il s'agit là de la variante eurasienne, russe et autocratique du modèle occidental. Le régime parlementaire y joue le rôle de chambre d'enregistrement et l'économie de marché y est de type oligopoliste, à la taille économique insuffisante et à dominante énergétique. Pour cet ensemble sociétal, la politique étrangère est inspirée par une tradition réaliste, une idéologisation de la nation-continent et civilisation, et par une diplomatie « hard », d'affirmation stratégique, de prestige et de force. Ce type de politique, à la forte conscience historique est signalée par la défense de sa « sphère d'intérêts privilégiés » et par la faiblesse des moyens de la diplomatie « soft » (les Think Tanks sont en nombre de 122 par rapport aux 426 de la Chine). Les carences du « soft power » privent la Russie de la combinaison entre « hard » et « soft », aboutissant à la combinaison du « smart power ». La profondeur stratégique lui permet le pivotement vers l'Asie centrale, de l'Est et du Sud et la stratégie qui en résulte est, par sa position, globale et multipolaire. C'est une position géopolitique inconfortable dans son face à face avec la Chine et le Japon, idéologiquement contradictoire vis-à-vis de l'Europe, dans sa posture de chef de file du désancrage européen et de désoccidentalisation du monde. C'est un positionnement qui prélude à une tension durable avec l'Europe. Vis-à-vis de celle-ci, la politique russe se situe dans une logique multipolaire, comme Balance eurasienne de l'Occident, à l'opposé de la Balance insulaire ou américaine. Dans un monde excentré, les grands équilibres de pouvoirs, façonnés par un mélange d'alliances permanentes et de “coalitions of the Willings”, seront précaires et révocables et marqueront les oppositions majeures du système mondial. Dans ce contexte, le modèle russe de société ne se traduit pas en projet « soft » pour l'ensemble du monde, ce qui lui interdit de représenter une alternative au système existant.

- Le paradigme sociétal de la variante insulaire et américaine de l'Occident est défini par une société-monde, un modèle démocratique et impérial, procédant des idées de liberté, de démocratie et de sens de la mission historique. La prépondérance de l'exécutif est régie par le principe du « Check and Balances » entre pouvoirs et donc par un équilibre savant entre le Congrès, les médias (donnant corps à une opinion publique volatile) et la Cour suprême. L'extraversion de l'économie, de la culture et de l'influence géopolitique font des États-Unis une puissance de projection des idéaux et des forces, fondée sur la prééminence stratégique et la supériorité scientifique, technologique et militaire comme leviers d'une orientation de base des relations bilatérales (negative guidance) décourageant les alternatives concurrentes ou d'une politique générale d'ordre mondial allant de la maîtrise des océans à celle de l'espace éso-atmosphérique. Les États-Unis constituent le pôle majeur des Trois Occidents et sa politique étrangère est inspirée par une politique de primauté, un comportement hégémonique et une vocation naturelle au leadership. Elle se prévaut de la maîtrise de la mer et de l'insularisation du Homeland par la dissuasion nucléaire et par le contrôle du processus de prolifération et des trajectoires de recherche et développement technologique (R&DT) dans les domaines balistique et atomique. La presque ubiquité de la présence planétaire fait des États-Unis le pilier principal du multipolarisme mondial, qui se prévaut de quatre instruments.

- Le leadership scientifique à but militaire et comme axes de la puissance nationale. L'injection des avancées scientifiques et les systèmes technologiques (micro-électroniques et télécoms) dans les conceptions « révolutionnaires » de la stratégie, visant les doctrines militaires, les rapports de force et les moyens de pression politique (RMA) ;
- La NSA, comme outil principal de la « révolution numérique » et comme dispositif planétaire d'alerte et de surveillance ;
- Le « linkage stratégique » comme modalité organisatrice des relations systémiques et comme méthode efficace de gain et de négociations ;
- Le nombre le plus impressionnant de Think Tanks (1828 recensés en 2013) comme outils de perspective internationale et de diplomatie « soft », permettant de repenser constamment les enjeux internationaux et de relancer des débats d'idées sur la nature des relations internationales et sur le rôle des Etats-Unis dans le monde, posant et reposant sans cesse le dilemme du déclin et de la direction de l'avenir1.

Les États-Unis exercent la souveraineté effective dans les cinq espaces connus (mer, terre, air, espace extra-atmosphérique et cyber espace). Dans l'exercice de cette souveraineté ils fixent les standards et les règles des autres juridictions pour les contrôler ou les dominer. Les États-Unis représentent ainsi une véritable puissance « off limits », soucieuse de gérer le monde selon ses intérêts prédominants, voire exclusifs.

La mise en perspective de la crise mondiale actuelle affecte différemment les trois politiques étrangères de l'Union européenne, de la Russie et des États-Unis, car elle est marquée par la superposition d'une crise des « cycles longs » économiques de Kondratiev (50-60 ans) qui concerne inégalement les trois puissances et des cycles d'alternance hégémonique de Paul Kennedy (entre 100 et 150 ans) affectant surtout les États-Unis. En effet, la phase du processus de mondialisation que nous vivons est caractérisée par une forte pression concurrentielle, qui engendre, à l'échelle planétaire, un processus de « destruction créatrice », précédant théoriquement la phase ascendante d'un nouveau cycle, économique et hégémonique et caractérisant une période d'instabilité stratégique étendue.

Cette crise marque un arrêt de l'effort antérieur, visant à limiter limiter la compétition stratégique et à assurer une certaine stabilité géopolitique.

L'Etat mouvant de la conjoncture

Du point de vue politique, l'état mouvant de la conjoncture, moins prévisible et donc moins contrôlable de celle de la « post-Guerre Froide », donne toujours lieu à des fenêtres d'opportunités, ou à l'inverse, à des craintes de déclin, faisant cohabiter des conceptions de la sécurité mondiale aux issues contradictoires. Il s'agit, au plan global, d'une sécurité instable, d'une violence régionale diffuse et de conflits locaux intenses, qui voient la coexistence d'une paix de surveillance stratégique entre les acteurs majeurs de la scène internationale et d'un désordre chaotique entre les groupes d'actants d'ordre mineur, agissant dans un contexte marqué par des conditions générales d'asymétrie. Entre temps, la quête de nouveaux paradigmes, après deux guerres mondiales, favorise le retour des « petites guerres ».

Ainsi, les politiques étrangères des États-Unis, de l'Union Européenne et de la Russie doivent se calquer sur un ordre international déstabilisé, sur des rythmes de développement différenciés et sur des antinomies criantes de régimes politiques et de structures sociales. Ces conditions transforment en paradoxe les exercices moralisants des interventionnismes humanitaires, de la rhétorique démocratique et des « guerres limitées », comme guerres sans paix et sans victoire.

L'interdépendance des menaces et des vulnérabilités aboutit à une interaction forte entre les acteurs continentaux et les acteurs régionaux et locaux. Ainsi, l'interconnexion des deux logiques, de la globalisation et de la « Balance of Power », ou encore du multilatéralisme et de la multipolarité, rend précaire une politique étrangère et de sécurité commune de l'Union, dépourvue d'une clé de lecture et d'une vision partagée du système global.

La pierre angulaire d'un accord nécessaire de « sécurité indivisible » entre l'Europe, les États-Unis et la Fédération de Russie sur le continent et dans l'hémisphère Nord, repose sur l'adoption d'un cadre commun qui chapeaute l'ensemble des organisations de sécurité, centrées, à l'âge de la balistique, de l'atome et de la cyber-war, sur les seules questions « hard ». Cet accord pourrait être ressenti par toutes les parties comme le « toit commun » d'un système stabilisé de sécurité collective et de coopération, allant de Vancouver à Vladivostok, une « charpente commune » pour les autres organisations de l'ensemble de l'espace eurasien, mutualisées et régulées.

Les politiques étrangères des trois ensembles devraient pouvoir se traduire en une « sécurité négociée », et pourraient conduire à l'apaisement et à la désescalade dans la région d'influence disputée, représentée par l'Ukraine, le Sud-Est de l'Union et les pays du Partenariat Oriental.

Enjeux et limites des traités et des équilibres régionaux
3 politiques étrangères face à la crise ukrainienne

La crise ukrainienne a remis en cause les limites tacites et les principes explicites de :
- L'architecture européenne de sécurité et de stabilité, convenue avant et après l'effondrement de l'URSS :

  • avant, par le traité ABM (Anti-Ballistic Missile de 1972) ou SALT 1 (Strategic Arms Limitation Treaty) ; par l'Acte final d'Helsinki de 1975 de codification de l'équilibre européen et par le traité de Washington de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) ;
  • après, par le Traité FCE1 de 1990; les traités de désarmement START I (1991) et START II (1993) ; le Mémorandum de Budapest2 de 1994 ; la Charte de Paris3; et enfin par l'Agenda de Prague en faveur du désarmement nucléaire4 ;

- des politiques étrangères des trois variantes de l'Occident (UE, Russie, USA) autrement dit la désunion politique et la faiblesse européenne, la politique d'élargissement de l'OTAN et la stratégie de « roll back » et d'interventionnisme américain, et in fine la primauté conventionnelle russe dans sa « sphère d'intérêts privilégiés » ;

- pour terminer, de la morphologie, de la stabilité et de la hiérarchie du système international, sous l'effet de choc des nouveaux équilibres multipolaires.

En Asie, l'établissement d'une proximité idéologique et géopolitique entre Moscou et Téhéran au nom de la stabilité et de la sécurité dans la région5 a été une répercussion de l'axe de crise Ukraine-Syrie pour le maintien au pouvoir et le soutien commun à Bachard Al Assad et a stoppé une nouvelle intervention unilatérale occidentale au Moyen-Orient après l'échec politique de l'Irak.
Au niveau du système planétaire, le basculement de la Russie vers l'Eurasie a été l'expression du contrepoids de l'Occident dont les deux éléments clefs sont représentés
    - par l'Union Eurasiatique, comme une structure de puissance économiquement et politiquement intégrée ;
    - par l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) comme initiative pour contrer l'hégémonie américaine au nom d'un monde « multipolaire ».

La crise ukrainienne portée, signification et répercussions

Plus spécifiquement la crise marque :
- le creusement d'un fossé entre Washington et Moscou, dû aux mauvaises perceptions réciproques et à une disymétrie d'intérêts géopolitiques entre les deux puissances, la stabilité de l'Ukraine était essentielle pour la Russie et marginale pour les États-Unis. Le fossé a été par ailleurs imputable à une série d'autres manquements dont :

  • le non respect des promesses faites à Gorbatchev par Georges W. Bush concernant le non élargissement de l'OTAN jusqu'aux frontières de la Russie ;
  • le retrait unilatéral du Traité ABM de la part de Washington, tenu pour primordial par Moscou pour préserver la stabilité nucléaire ;
  • le refus constant après l'effondrement de l'URSS de traiter Moscou d'égal à égal ;
  • la redéfinition en cours d'une politique d'endiguement de la Russie par Washington ;

- Avec l'Union européenne, l'émergence d'une « ligne de tension majeure » tout au long des pays du Partenariat Oriental et du voisinage commun ;
- A propos de l'Ukraine, l'apparition d'une « surprise stratégique » et d'un mode d'action indirecte, dans les régions de l'Est combinant tactique, action de propagande, éveil populaire et gesticulation militaire autour d'un « Blitz » programmé ;
- L'irruption de la guerre et des « guerres limitées » dans l'horizon des perspectives du continent, ce qui signale la dissociation de la stabilité et du « statu quo » ;
- Le retour européen à la logique des rapports de force et de la « raison stratégique » et, en matière nucléaire, le maintien de la fiction d 'un condominium russo-américain ;
 La fin de la « paix désarmée » et de la « sécurité collective », qui pousse à la quête d'un nouvel ordre régional et mondial, à l'endiguement des tensions et à une nouvelle politique de ré-assurance sur le continent, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'OTAN. Une « paix désarmée » qui postule la recherche de garants capables d'assurer ce rôle, et, pour terminer, la recherche de l'intentionnalité délibérée des actions entreprises visant à limiter l'escalade « objective » de la violence ;
- Enfin, en ce qui concerne l'Europe ou la variante européenne de l'Occident, l'enterrement définitif de l'exceptionnalisme moral, comme substitut éthique d'une politique étrangère tatonnante. Cela au profit d'un retour de la « conscience historique », comme condition nécessaire de l'existence des nations et d'un consensus commun6.

Dissociation de la stabilité stratégique et du Statu Quo

Dès lors le problème à long terme des trois variantes de l'Occident demeure, celui de faire cohabiter trois évaluations différentes des rapports de forces internationaux, ainsi trois conceptions de l'hégémonie et de la puissance politique. Ces évaluations reflètent les types de modernité dont sont l'expression les Etats-Unis, l'Europe et la Russie en leurs différents mélanges de la tradition et de la liberté. A propos de la sécurité internationale et la crise de l'Ukraine, l'obsolescence de la « stabilité stratégique », limitée aux deux seules puissances, dans un monde multipolaire7, implique qu'est vainqueur l'acteur face auquel le vaincu cesse de lui résister, et qu'est vaincu provisoirement celui qui ne se fait pas plier que par le dialogue ou la pacification, sauvegardant ainsi son indépendance de jugement et de vision à long terme et demain sa capacité de rebond et d'action historique.

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1Pour certains Think-tanks, et en ce qui concerne la crise ukrainienne, nous assisterions non pas à un aspect de la « révolution systémique » de Strausz-Hupé mais à une simple transformation de la bipolarité et de la guerre froide, identifiant un ennemi géopolitique pérenne en la Russie (Brookings). Pour d'autres, les puissances révisionnistes et perturbatrices (Chine, Russie et Iran) ôteraient à Moscou toute possibilité de manœuvre et toute capacité d'initiative, par les réseaux sécurisants de l'économique, (grâce à l'interdépendance) politique (par la distribution des démocraties en forme d'encerclement), militaire (par l'équilibre dissuasif à effet insularisant).

2 qui avait pour but de rééquilibrer les alliances militaires de la bipolarité dont une a disparue (Pacte de Varsovie)

3 qui garantit la sécurité de l'Ukraine et des républiques de l'ex-URSS contre la dénucléarisation du pays

4 Dont la déclaration de principe proclame l'intangibilité des frontières en Europe obtenue par la force (ce qui n'a pas été le cas en Crimée), le non-recours de la force, l'inviolabilité des frontières, l'intégrité territoriale des Etats, le règlement pacifique des différends et la non-intervention dans les affaires intérieures 

5 qui paraît définitivement enterré, rendant impossible à « l'administration Obama » un changement de priorités stratégiques

6 Déclaration du Président H. Rouhani du 21 mai 2014 en marge du IXème sommet de la CICA (Conférence pour l'interaction et les mesures de confiance en Asie

7 imposant de repenser constamment le passé et l'avenir, la culture et les civilisations et de rendre intelligibles les traités et les stratégies auxquels sont confrontés les cités et les œuvres face aux dilemmes de la paix et de la guerre ; et, tout spécialement, aux excès de la déraison, de la force pure, des défis mondiaux et des changements stratégiques et opératifs

8 où la quête de la supériorité est de retour et l'invulnérabilité balistico-nucléaire n'est pas assurée