LA SOCIETE PLANETAIRE, LE DESTIN DE L’OCCIDENT ET LA FIN DE LA CIVILISATION EUROPEENNE

Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
22/12/2025

 

LA SOCIETE PLANETAIRE,

LE DESTIN DE L’OCCIDENT

ET LA FIN DE LA

CIVILISATION EUROPEENNE 

Irnerio Seminatore

 

Ce texte constitue la préface de mon livre au titre :

« PAIX ET GUERRE

DANS LA GRANDE POLITIQUE »

de prochaine publication (janvier 2026)


Table des matières

Une relecture de Raymond Aron 

Hégémonie et systèmes 

Intégration des Etats, intégration des individus 

L'économique, pas de prédominance causale 

La société planétaire et la hiérarchie des niveaux 

De la société planétaire aux défis stratégiques 

Le retour des Etats, de la Realpolitik et des Empires 

L'UE, l’Amérique de Trump et les relations transatlantiques 

Le réveil du tragique 

La séduction des Empires 

Passé et Présent

Système et conjoncture

Evolution globale et « Grand Jeu »

Sur la crise de l'atlantisme et du principe de vassalité

La « Stratégie de Sécurité Nationale américaine » (NSS) du 4 décembre 2025

La fin de la civilisation occidentale et « Le destin de l'Occident » de Spengler

Les civilisations et les grands antagonismes hégémoniques

 

Une relecture de Raymond Aron

La compréhension du monde actuel et de la société internationale d'aujourd'hui peut-elle tirer bénéfice de l'analyse d'une réalité qui a profondément changé de fond, de forme et de problématique depuis soixante ans ? Pouvons-nous adopter à cet égard la méthode et les concepts, qui furent ceux que R.Aron adopta en 1975, au sujet de son œuvre « Paix et guerre entre les Nations », qui était de 1962 ? Dans la présentation à la huitième édition, Aron entérina le fondement intellectuel de son l'ouvrage, excluant qu'une révision critique des grandes mutations du monde ne condamne à l'archaïsme les concepts retenus. La préoccupation principale de R.Aron fut de répondre aux objections qui auraient voulu infirmer le cadre théorique adopté quinze ans avant, dans l'élaboration de « Paix et Guerre » et conclua que les principaux concepts avaient résisté à l'épreuve des faits.   

En adoptant ce même cadre, serions-nous dispensés d'un bilan nécessaire pour juger les réalités jaillies au grand jour, depuis la coupure du système international de 1991 ? A l'heure actuelle (décembre 2025) deux événements dominent les relations internationales et un demeure sous-jacent.

Les deux premiers sont définis par la guerre en Ukraine et le conflit de Gaza et le troisième est constitué par la « surprise stratégique » annoncée, d'un choc militaire planifié, à Taiwan ou en extrême Orient. A l'échelle du monde un voile préoccupant souligne encore davantage la disparition de l'Europe et, en corrélation avec la théorie des grands cycles, l'ascension hégémonique de l'Empire du milieu.

Après les étapes de la décolonisation, la fin de la guerre d'Algérie et de celle du Vietnam, puis la reconnaissance de la République Populaire de Chine, l'écroulement de l'Union Soviétique a représenté la disparition provisoire d'une grande utopie et une courbure historique des cycles hégémoniques. Ce sont là des aspects qui frappent les perspectives d'avenir et la connaissance de l'histoire du présent. De surcroît, l'étude des mutations internationales ne peut plus être dissociée de l'analyse de l'hégémonie, qui devient le levier des virtualités événementielles du passé et, en particulier du présent.

Hégémonie et systèmes

En effet l'analyse hégémonique est au cœur de toute périodisation historique et constitue le fondement de toute étude des systèmes et de toute approche des sociétés humaines. Elle définit, par l’incarnation d’un grand acteur historique, la globalité d’un système et le cadre civilisationnel de la période étudiée.

A voir de plus près, chaque système international à pour âme une civilisation et pour manifestation de vie, les expressions politiques, scientifiques, artistiques, architecturales et spirituelles, qui informent une aire-clé et dominante de l'espace mondial, sa métaphysique et son éthos culturel.

Dans sa présentation à la huitième édition de « Paix et Guerre entre les nations », une note au pied de page, rappelle que R.Aron songeait, à l'époque, à deux projets, ayant pour but d'enrichir la présentation critique de « Paix et Guerre » et de rédiger un essai sur « L'heure du décisif » de 1933 de Oswald Spengler. Le titre de la présentation, « La société internationale », explique le projet de R.Aron, qui, empruntant un fragment de Jean Jacques Rousseau sur l'état de guerre, précisait que la fiction de l'état de nature impliquerait un état de guerre potentielle, « différent en son essence de l'état civil à l'intérieur des Etats », dans lesquels, « les citoyens obéissent à la loi.... 

La guerre n'est point une relation d'homme à homme, - ajoutait-il - mais une relation d'Etat à Etat ».

Intégration des Etats, intégration des individus

« Le livre (de 1962) - objecte-t-il - portait donc sur le « système interétatique : système dans lequel s'intègrent les Etats ». « Cette théorie philosophique peut être interprétée - ajoutait- il, comme un schéma idéal-typique, puisque la guerre, comme choc armé entre les Etats, retenait le sens traditionnel de la guerre, conforme à la pratique du vieux concert européen du XIXème siècle ».   Le terme « d'intégration » concernant les Etats, s’applique-t-il aux particuliers, autrement dit aux individus vivant sur le même sol et soumis à la même loi ?

Chacun peut constater que l'état d'insécurité, ou de guerre potentielle est devenu permanent La caractéristique du « citoyen », qui obéit à une loi a changé, au profit de celle de militant ou de soldat d'une nouvelle « guerre de religion », définie par une « autre loi », la Charia, faisant appel à une autre et seule soumission, celle d’une législation jugée divine et supérieure à toute autre loi humaine. Cette loi est propre à une population, qui hait la loi européenne, chrétienne et occidentale, sa métaphysique et son éthique. Ainsi à une société fragmentée correspond une guerre plurielle, polysémique, sans front de combat identifiable, une « guerre hors limites », au sens chinois de la doctrine d'affrontement, de sociétés et d'hommes soumis à un code culturel et civilisationnel montant, celui d'une nouvelle hégémonie.

L'économique, pas de prédominance causale

L'environnement mondial de sécurité peut être comparé à une « toile », qui superpose plusieurs niveaux de pouvoir, de structures capacitaires et de dynamiques, hiérarchisées et interactives. Aron explique qu'il lui paraissait inévitable de mettre au premier rang le système interétatique, qui exclut à priori la prédominance causale du système économique et cette option apparaît encore et à plus forte raison incontestable. Bien que personne ne nie l'interdépendance croissante des deux systèmes, étatique et économique, peut-on parler aujourd'hui d'impérialisme monétaire ou commercial, au même titre que d'impérialisme tout court ?

La société planétaire et la hiérarchie des niveaux

S'il fallait, par simplification extrême, établir une hiérarchie d'importance entre les différents niveaux, il conviendrait de dire que :

- le premier palier est celui hard, de la sphère interétatique, celui de l’action militaire et de la diplomatie, qui, compte tenu du pouvoir d'identification et de reconnaissance, est le niveau des puissances balistico-nucléaires et conventionnelles, ainsi que des souverainetés décisionnelles autonomes et indépendantes. Son dieu est Hadès, le dieu des antagonismes historiques et civilisationnels, virtuellement conflictuel et à la force immédiatement mobilisable. Dans la scène mondiale actuelle il indique la Triade (USA, Chine, Russie), ou le bipolarisme global dissimulé (USA-Chine), autrement dit, le niveau du « condominium » stratégique et hégémonique à caractère asymétrique, qui voile la fonction centrale des USA. C'est le niveau de la définition de l'ordre mondial et de ses règles, où se tissent les alliances (NATO, AUKUS, OSCE) et les institutions de sécurité collective (ONU), les formes de lutte contre la prolifération, la prévention de la militarisation de l'espace extra-atmosphérique et de la cyber-guerre. C'est à ce niveau que se joue la liberté des peuples et des nations, leur indépendance ou leur chute et c'est toujours à ce niveau que les calculs de la « Balance of Power » se combinent avec l’évaluation de la légitimité pour aboutir à une délibération d’action. C'est ici, pour l'essentiel, qu’on décide de la paix et de la guerre, puisque c'est ici le siège « le forum » des Leaders étatiques, des oligarchies mondialistes et des nomenklatures transnationales.

- le deuxième échelon est celui des idéologies et des croyances, celui des appareils idéologiques de la communication et des médias (AIC-AIM) ayant pour but l'uniformisation de la pensée, s'emparant des causes universelles, des utopies et des espoirs, opposées à la logique des calculs. C'est le niveau idéaliste des intelligentsias et des visionnaires, peuplant les avenues de l'histoire en marche et donc des révoltés et des insurgés, des chemins de la révolution et des réformes, mais aussi celui des mots-d ‘ordre antibureaucratiques et anti-« goulags », celui des prisonniers du préjudice et des « idola fori ». Y règnent avec aisance les imposteurs et les tribuns, les créateurs d'utopies et tous ceux qui exercent ou usurpent la légitimité des idées

- le troisième niveau est celui de l'économie mondiale, ou, pour mieux dire du calcul et de l'intérêt. Il s'agit de la sphère du marché de l'offre et de la demande globale, de la finance et de la monnaie, de la circulation des biens et de la richesse des nations. C'est le niveau des institutions de gouvernance multilatérale et globale (UE, banque mondiale, FMI, G8, G20). C'est aussi l'espace façonné par l'idée de distribution et de justice distributive, pour la sauvegarde du système, l'espace des grandes zones d'innovation et de recherche scientifique et technologique (Etats-Unis, Chine, Europe) 

-le quatrième palier est celui, transnationale  des sociétés civiles (ou du mythe républicain et de la société des appareils, opposés à l'Etat régalien), l'espace  de l'associationnisme, de la démocratie participative et de la gouvernance multilatérale, en résonance avec les  différents Welfare State, les courants de pensée égalitaristes et humanistes On appelle ce type de société comme  l'Etat profond ou l'État administratif, masqué sous le visage garantiste et « neutrale » de l'Etat de droit, déconstructeur et constitutionnel, c'est aussi le sous-système des partis et des factieux, le lieu d'ombre des coups d'Etat réels on virtuels, qui accepte aujourd'hui une contre-colonisation d'immigration massive, communautarisée, multi-civilisationnelle et multi-conflictuelle Ce niveau est en Occident le plus problématique, car c'est l'échelon des banlieus--monde, de  la société des trafics, fortement criminalisée, islamisée, anti-blanc  et woke. ll s'agit de la société des trois ruptures, démographique, sécessioniste et identitaire qui vit en dehors et à côté de la « cité » politique, une société des tatouages, de la discrimination positive et de la mutilation des esprits. Y pullulent les acteurs du monde écologique, humanitariste et militant, qui alimentent les ONG, et constitue les champs de réflexion privilégié des nouveaux philosophes et surtout des sociologues pour lesquels elle est un laboratoire social à ciel ouvert, déserté par le travail et nourri d'assistance. Un terrain qui a divorcé depuis longtemps avec l'éducation publique, la famille et le réseau moderne de la solidarité et du secours ; bref, un chemin de croix et un enfer dantesque pour la chrétienté religieuse du continent, et pour l'effondrement psychique des vieux autochtones, devenu une province gazaouie pour l'antisémitisme d'importation et pour le dynamitage des églises et des cathédrales d'autrefois. Fini le temps des sociétés civiles de Hegel, régulé par les corporations, par les métiers et par les professions. Die bürgerliche Gesellschaft est devenu désormais un mythe intellectuel, comme le « Bürger », le vieux « citoyen » européen, habitant d’un « bourg ». La « société civile » de la modernité comme instance de médiation entre citoyens et pouvoir, n'existe plus, puisqu'il y a refus de la fonction de citoyen, mépris pour la logique du pouvoir et épuisement de la notion de démocratie.

- le cinquième niveau est celui de la société du chaos et du tsunami, en symbiose inversée avec la société civile qui appartient à la sphère prométhéenne du collapseC'est l'espace des souterraines, d'instabilités chroniques et de conflits diffus. Dans les mégalopoles aux frontières tentaculaires, s'incarnent alors ici l'exclusion extrême, les règlements des comptes et le terrorisme islamique, expressions d'un monde unifié par la globalisation du meurtre, de la drogue et des kalashnikov. C'est le niveau de « Vulcain », le dieu mythologique qui ensevelira la terre et fera régner l’empire du feu et du gouffre.

De la société planétaire aux défis stratégiques

Le bouleversement de la conjoncture mondiale et la transition à une morphologie multipolaire de la scène internationale imposent :

- d'identifier les défis et vulnérabilités, potentiels et avérés, du système international, dans une ère d'asymétrie, de menaces et de grandes incertitudes

- de saisir les tendances lourdes et les lignes de fracture, en mettant l'accent sur les risques de crise et les déstabilisations internes, ainsi que sur l'internalisation des conflits armés, subétatiques et interétatiques.

- de suivre attentivement la logique des acteurs globaux par l'étude de leurs postures stratégique et par une lecture appropriée des équilibres de puissance

La métamorphose du système est illustrée par une série de transformations d'ordre général :

- l'épuisement de la stabilité stratégique de la bipolarité et l'apparition d'une nouvelle anarchie international-

- la réapparition de la figure de l'ennemi désigné (la Russie et la Chine), accompagnée d'une forte hybridation de menaces et de vulnérabilités

- une réflexion de long terme sur les objectifs des acteurs principaux

- l'extension du désordre et de la violence à des régions-clés, où prolifèrent des antagonismes et des conflits, ethniques, politiques et religieux

- l'apparition d'un champ immatériel de dangers, catalyseur de crises futures, le cyberspace.

Le retour des Etats, de la Realpolitik et des Empires 

Ces dimensions de la conjoncture globale marquent le retour de la Realpolitik, au cœur de laquelle l'Amérique et l'Europe apparaîtront plus que jamais vulnérables face aux incertitudes et aux défis qui façonneront notre avenir. Ainsi, dans une ère de grandes incertitudes géopolitiques, le Hard Power et le facteur démographique redeviendront décisifs et la rémanence de la domination « informelle » de l'Occident sera concurrencée par les revendications d'autres modèles culturels de société. Or, chaque civilisation et chaque époque culturelle a son propre modèle qui coïncide avec le moment le plus élevé de son développement et de sa puissance. Cependant ce modèle est aussi un modèle d'intégration. En ce qui concerne la deuxième partie du XXème siècle, à la longue période façonnée par la croyance en une coopération justifiée par l'affaiblissement du rôle des Etats (1945-1991), la conjoncture historique semble correspondre à une nouvelle des relations internationales, caractérisées par l'effondrement de l'Union Soviétique et de la Fédération yougoslave (1991- 2001).

La période successive est marquée par le retour au premier plan des Etats, comme facteurs de stabilisation régionale et comme freins aux turbulences chaotiques de la conjoncture. Ce retour à l'ancrage des nations est dû en Europe, pour une part au besoin de protection et pour l'autre aux hétérogénéités culturelles des politiques de crise, qui bouleversent les jeux d'équilibre institutionnels.   

L'UE, l’Amérique de Trump et les relations transatlantiques

Quant à l'Union Européenne, la structure de coopération poursuivie jusqu'ici s'avère obsolète dans la nouvelle phase d'intégration (2015-2025).

C'est désormais une intégration asymétrique, qui s'impose dans l'enceinte communautaire entre la France et l'Allemagne, la Grande-Bretagne et le continent, les pays du Nord et les pays du Sud, tandis qu'un déni des réalités internationales s'installe en politique étrangère et internationale. Quant aux différences essentielles entre les européens et entre l'Europe et le reste du monde, celles-ci ne pouvaient être pensées qu'à travers la figure de l'Etat, ses égoïsmes et ses jalousies. Par conséquent l'option pour le multilatéralisme de l'Union a été la résultante sournoise de la fiction d'une l'égalité formelle entre les nations et du refus de la guerre, qui cachait la hiérarchie de puissance dans un monde demeurée anarchique. En ce qui concerne les relations transatlantiques, certains dirigeants européens ont continué à minimiser en 2017 l'ampleur de la victoire de Trump. Ceci a révélé une incompréhension des transformations profondes, intervenues aux Etats-Unis au cours des deux dernières décennies. Les clivages internes des partis politiques américains se sont intensifiés et la question de l'avenir de l'Otan et des relations transatlantiques a été clairement posée, jusqu'à l'évocation par Macron de la « mort cérébrale » de l'Organisation atlantique. En effet, c'est bien la guerre d'Ukraine qui a poussé les Européens à se rassembler autour de l'Alliance, que la Russie s'est bien gardée d'attaquer. Dans ce contexte, la guerre d'Ukraine s'est profilée comme un test de la dislocation de l'ordre européen, de l'antagonisme sino-américain en Asie-Pacifique et des grands équilibres entre les hémisphères Sud et l'hémisphère Nord. Elle a exacerbé les tensions économiques, jusqu'à faire prendre en charge aux pays de l'Union l'engagement illimité du coût de la guerre, renforçant les populismes et les souverainismes, au détriment des partis traditionnels. Le fossé d'incompréhension entre le vieux continent et l'Amérique s'en est aggravé. Cependant les Etats-Unis de Trump sont restés campés sur leurs propres positions et les priorités américaines se sont recentrées sur leurs intérêts nationaux.

Cette tendance au « retour sur soi » est la manifestation plus claire d'un cycle classique des calculs d'opportunités, qui remonte à la première guerre mondiale. Or l'élection de Trump a des causes profondes et les changements intervenus aux Etats-Unis manifestent une cohérence qui va au-delà de la classe politique et de leurs opinions et touchent aux idées mythes de démocratie et de liberté. Ne pas en tenir compte a été une erreur de stratégie, puisqu' elle a interdit à certains dirigeants européens de penser eux-mêmes leur propre histoire et donc la guerre, en sa réalité et en son essence, comme la conscience du tragique dans l'histoire. Ainsi cette faute a divisé les différents pays dans le jugement sur la guerre d'Ukraine et sur la riposte israélienne à Gaza, comme modèles d'inhérence à l'histoire et non de rupture, dans la continuité d'une philosophie réaliste des relations internationales.

Le réveil du tragique

 Le concept de tragique, venu   de loin, ne comporte pas seulement deux interprétations opposées des luttes à mort entre duellistes, celle des vainqueurs et celle des vaincus, mais l'immanence, pour l'Europe elle-même, d'une catastrophe à venir, prise comme fatalité, comme moment nécessaire à une autre configuration hégémonique du monde, orientale à la place de l'occidentale, chinoise à la place de l’américaine.

Ou encore et à l'opposé de cette lecture cyclique, le concept de tragique apparaît comme immanence du monde, induit par le caractère irrémédiablement fini de notre existence européenne et universelle. En effet, à partir d'un désastre imminent, qui suscite la crainte absolue chez les peuples du continent, la peur de l’avènement de la troisième guerre mondiale, conventionnelle et nucléaire, fait rage.

Le tournant de l'Amérique vis à vis de l'Europe a été interprété, en sa négativité radicale, comme l'abandon biblique du père (Trump) et comme oubli du sens profond de la civilisation (l'Amérique fille de l'Europe). 

Par ailleurs, ce sentiment tragique est politique, funeste et alarmant, car il semble soumis au destin plus qu'à la volonté des hommes. Plus que jamais le registre tragique des européens est proche du registre pathétique, parce qu'il suscite la pitié, mais il s'en distingue par le caractère terrifiant des situations extrêmes dans lesquelles se trouvent les dirigeants et les dirigés. Puisque le tragique attribue des sentiments forts et exacerbés à la faveur de celui qui lutte contre son destin, les pacifistes et la gauche, la passion et la haine contre le pouvoir se confondent à la colère sociale, dans une tension qui retranscrit la menace omniprésente de la fatalité, en une destinée cruelle, la « guerre civile » interne, qui interviendrait soudainement pour accomplir le destin.

En termes plus prosaïques, dans un monde de plus en plus instable, Robert D. Kaplan expose les défis auxquels l’Europe et, avec elle, l’Eurasie et l’Afrique, vont devoir faire face. Si, depuis le voyage de Marco Polo, le monde s’est métamorphosé, d’autres, problématiques, sont restées étonnamment similaires, liées aux deux invariants, de la nature humaine et de la géographie. C’est du grand retour de l’Eurasie comme donnée géographique dont il est question, c'est de la résurgence d’empires séculaires et de sphères d’influence, c'est de l’effondrement du système mondial créé après la Seconde Guerre mondiale autour d'Hégémon, dont on débat et qui guette l'esprit.

La séduction des Empires

Parallèlement au retour des Etats et au retour de la guerre, le concept d'histoire évoque simultanément le concept d'Empire et le concept d'hégémonie, comme formes de gouvernement, qui ont rayonné dans le passé. Ce sont des figures du pouvoir qui ont réunis, sous forme de communauté, des nations, des peuples ou des royaumes différents, autour d'un pouvoir centralisé et unique, souvent conforté par une foi ou une confession religieuse, chrétienne, juive, musulmane ou tout simplement idéologique.  Il convient de rappeler que l'Empire était originellement associé à un système d'équilibres et d’influences, associés à la paix et à un système de forces, mais aussi à un même principe de légitimité, dynastique ou républicain. Ce qui semble revenir ce sont des alliances et des systèmes d'influence (rencontre d'Anchorage entre Tramp et Poutine de 2025), portées par le rappel historique des successions hégémoniques. 

Le présent texte, développe la thèse que ce sont les hégémonies, sous forme d'Empires, de Républiques Impériales, d’Etats-civilisations ou de Confédérations d'Etats, qui se sont projetées dans les grandes aventures historiques pour des conquêtes ou des successions dynastiques aux différentes époques. Les civilisations humaines se sont affrontées et combattues dans des épreuves inhumaines et mortelles, jusqu'au moment où l'une d'entre elles, personnifiée et incarnée, par un peuple, une volonté et un chef n'ait imposé une prééminence sans faille, ambitionnant une recherche de reconnaissance et de gloire, pour la maîtrise de l'espace jugé vital et n'a conquis le système tout entier. Ces Etats-civilisations n'ont pas hésité à remettre en cause la stabilité du tout, ni à fédérer les autres par une politique d'alliances.

Passé et Présent

En analysant l’hégémonie comme concept structurel et de long terme, celle-ci se pose en paradigme systémique. Elle assume une figure singulière dans chaque période historique et se définit formellement par ses attributs : l'équilibre, la stabilité, le changement, la défense des intérêts collectifs et la production de valeurs ou de « sens », bref de culture. Hégémon a toujours eu un rival, un « peer compétiteur » (Carthage pour Rome, l'Espagne pour la France, l'Allemagne pour l'Angleterre etc).

Système et conjoncture

La morphologie du système actuel peut être définie comme multipolaire et la conjoncture comme asymétrique, chaotique et hybride.

Il faut ajouter que le paysage stratégique est caractérisé par l'instabilité de chaque cadre régional, (Asie du Sud- Est, Proche-Moyen Orient et Golfe, Europe Orientale et Sud -Orientale) et par des efforts d'ajustement inévitables entre système global et sous-systèmes régionaux.

Du point de vue global, trois centres de gravités ne coïncident plus :

- le centre de gravité des affrontements et des crises

- le centre de gravité des tensions politiques et financières (krach rampant, chute du cours du pétrole, offre en surcapacités énergétiques, pressions spéculatives sur les devises)

- le centre de gravité du développement et de l'échange, dans une économie mondialisée et maritimisée.

A l'échelle planétaire, l'apparition d’un nouveau champ de dangers, catalyseurs des crises futures, le cyberespace et l'exosphère, fait de cette zone grise et immatérielle, un espace d'interconnexion des réseaux, qu'il faut considérer comme les dimensions privilégiées et non sécurisées des affrontements futurs.

La transformation de la scène internationale en une configuration multipolaire correspond à une métamorphose du système, dicté par l'émergence de nouveaux centres de pouvoirs.

Evolution globale et « Grand Jeu »

Ainsi l'ensemble des essais ici réunis, prétend conférer un statut d'éclairage pour la compréhension de l'évolution globale de notre conjoncture et pour l'analyse du « Grand Jeu » entre pôles de puissances établies, défiant la stabilité antérieure.

Dès lors, ont été mis en exergue :

l'alliance anti-hégémonique du pivot géographique de l'histoire, le Heartland, par la Russie, l'Iran et la Chine et, en position d'arbitrage, la Turquie,

- la chaîne politico-diplomatique du « containment » de la masse eurasienne, par la ceinture péninsulaire extérieure du « Rimland » mondial, constituée par la Grande Ile de l'Amérique, le Japon, l'Australie, l'Inde, les pays du Golfe et l'Europe, ou, pour simplifier, l'alliance nouvelle des puissances de la terre contre les puissances de la mer.

Dans cet antagonisme entre acteurs étatiques, l'enjeu est historique, le pari existentiel et l'affrontement planétaire.

En soulignant le déplacement de l'axe de gravité du monde vers l'Asie-Pacifique, provoqué par l'émergence surprenante de l'Empire du Milieu, ce livre s'interroge sur le rôle de l'Amérique et de la Russie, ennemis et partenaires stratégiques vis-à-vis de l'Europe de l'Ouest, justifiant par là, le deuil définitif de « l'ère atlantiste » qui s'était imposée depuis 1945.

Sur la crise de l'atlantisme et du principe de vassalité

La crise de l'atlantisme, et l'impact du principe de vassalité, sont aujourd'hui aggravés par deux phénomènes :

- la démission stratégique du continent européen, en voie de régression vers un sous-système dépendant

- le resserrement des alliances militaires permanentes en Europe et en Asie-Pacifique (Otan, Aukus) prélude à un conflit de grandes dimensions.

Ouvrage didactique, ce texte prétend se situer dans la postérité des auteurs classiques du système international, R.Aron, Kaplan, Rosenau, H. Kissinger, K.Waltz, Allison, Brzezinski, Strausz-Hupé, et plus loin, Machiavel et Hobbes, tout aussi bien dans la lecture des  changements des équilibres globaux  et dans  la transition d'un système international à l'autre , que dans la lecture philosophique sur la nature de l'homme, la morphologie du pouvoir et les caractéristiques intellectuelles de la période post-moderne. Ce qui est en cause dans la conjoncture actuelle est la figure d'Hégémon et son Leadership.

Sous ce regard, de changement et de mouvement, la guerre en Europe représente le premier moment d'un remodelage géopolitique de l'ensemble planétaire et une rupture des relations globales entre deux sous-systèmes, euro-atlantique et euro-asiatique.

Au sein de ce retournement l'Europe y perd son rôle d'équilibre entre l'Amérique et la Russie et le grand vide de puissance, qui s'instaure dans la partie occidentale du continent est aggravé par l'absence de perspective stratégique, par le particularisme des options diplomatiques des Etats-Membres de l'Union européenne, par le flottement des relations franco-allemandes jadis structurantes et, in fine par la difficile recherche d'un Leadership commun. 

La partie de l'affrontement reste à jouer.

La « Stratégie de Sécurité Nationale américaine » (NSS) du 4 décembre 2025.

Conjoncture planétaire et ruptures doctrinales

La stratégie de sécurité nationale américaine (NSS du 4 décembre 2025) donne une lecture de la conjoncture globale de la part d'Hégémon et représente une rupture de la doctrine stratégique vis-à vis de l’Europe, de la Russie et de la Chine, ainsi qu'une hiérarchisation géopolitique significative des régions du monde d'intérêt vital pour les Etats-Unis. La principale nouveauté du document réside dans la volonté déclarée de restaurer la prééminence américaine dans l'hémisphère occidental et concerne en premier lieu l'application active de la doctrine Monroe, dans le but de soustraire cette partie du monde à l'influence chinoise, assumant explicitement l'emploi d'une logique coercitive sur les pays des deux Amériques

En Indo-Pacifique est mise en avant l’exigence   de maintenir le statu quo autour de Taïwan et d’empêcher l’émergence d'un contrôle étranger sur la mer de Chine méridionale et sur la première chaîne d'îles du Pacifique oriental.  Contrairement à la précédente NSS qui caractérisait la Russie et la Chine comme « puissances révisionnistes », cherchant à affaiblir la sécurité et la prospérité américaines, ces deux puissances sont traitées désormais comme des « facteurs à stabiliser » et non comme des « facteurs de déstabilisation ». De manière générale la NSS affirme la primauté des Etats Nations et le respect de leur souveraineté, en correspondance avec les formules et le langage convenu de Beijing.

En ce qui concerne l'Europe, incapable de défendre ses intérêts, le document identifie dans l'UE la source de problèmes irrésolus pour la souveraineté des différents pays membres et, à terme, le risque d'effacement civilisationnel du continent. Bien que la section consacrée à l’Europe soit intitulée : « Favoriser la grandeur européenne », l'analyse la plus déconcertante et les mots les plus cruels et pourtant vrais, sont utilisés pour définir la trajectoire européenne actuelle. Les indications sont claires. Pour Trump l'Europe sera « méconnaissable dans vingt ans ou moins », si les tendances actuelles se poursuivent. « [Son] déclin économique est éclipsé par la perspective réelle et plus abrupte d'un effacement civilisationnel ». En cause : la chute de la natalité, la perte des identités nationales, la faiblesse de la classe politique, la répression des oppositions, la censure de la liberté d’expression et, last, but not least, l'asphyxie réglementaire ». Sans oublier l'immigration. « À long terme, il est plus que plausible qu'en quelques décennies au maximum, certains membres de l'Otan seront à majorité non européenne » (musulmane !). « Il est légitime de se demander s’ils percevront leur place dans le monde, ou leur alliance avec les Etats-Unis, de la même manière que ceux qui ont signé la charte ».  Donald Trump y écrit, noir sur blanc, que l'objectif américain « devrait être d'aider l'Europe à corriger sa trajectoire actuelle ». Un discours frontal et peu diplomatique, ayant aussitôt reçu des critiques pour avoir fait d'un document officiel, un papier de combat partisan, avec une polarisation excessive entre les responsabilités de son administration et celles des « démocrates » qui l'ont précédée, notamment à propos de l’Ukraine. Quant à la négociation pour la cessation des hostilités en Ukraine, que l'Europe entraverait sérieusement, la raison en est que la poursuite du conflit est une condition pour la mobilisation intérieure et surtout pour la quête d’une indépendance politique et une autonomie stratégique, comme facteur de déstabilisation qui apporte l’escalade et une aggravation du risque. Or les entraves à la recherche d’une solution négociée ne changent pas la donne de fond, qui est la dépendance structurelle de l’Europe vis à vis des Etats-Unis dans des domaines -clés, comme le renseignement, les technologies de pointe(GAFAM, semi-conducteurs, innovation) et le secteur de l’énergie(gaz naturel  Il est rappelé que la négociation correspond aux intérêts fondamentaux des USA et qu'elle a pour but  de stabiliser les économies américaines et d’empêcher une extension non-contrôlée de la guerre. Du point de vue géopolitique, cette négociation vise à rétablir une stabilité stratégique avec la Russie et concernant la résilience des sociétés et l'esprit de défense, on reprend le rappel que la « révolution migratoire » acquiert le rang d'une priorité nationale, devenant « le critère » des alliances internationales, qui déterminent l'identité, la souveraineté et la puissance d'une nation.

Le débat sur la « colonisation » de l'Europe qui comporte, à l’évidence, une substitution des populations autochtones, destinées à devenir minoritaires dans leurs propres pays, apparaît déformant. Une équation deviendrait alors incontestable : changement de peuple, égal changement de civilisation. En essayant de revenir sur la relecture de R.Aron, au sujet de la fin de l’Occident et en rappelant la note à pied de page de R.Aron dans l'introduction à la huitième édition de « Paix et guerre entre les Nations », je tiens à préciser qu'il s'agissait d’un projet de traiter d'Oswald Spengler, un projet d'actualité, surtout après la publication de la NSS américaine, évoquant l’« effacement civilisationnel » de l'Europe.

La fin de la civilisation occidentale et « Le destin de l'Occident » de Spengler

La grande fracture de l’Occident, celle de l'Amérique trumpienne d'une part et celle de l'Europe globaliste et progressiste de l'autre (M.Bock-Coté) pose le problème de comprendre la marche du monde et le sens de l'histoire. C'est dans cette perspective, qu'il il sera fort recommandé de traiter du destin de l'Occident et de la mort des civilisations.  En effet ce thème a été déjà affronté en Allemagne, à l'époque de la République de Weimar et de la révolution conservatrice, et a constitué le concept-clé d’Oswald Spengler dans son étude sur une morphologie de l'histoire universelle, publiée en deux volumes, en 1918 et en 1922. La matière à réflexion était à l'époque, en pleine guerre, celle de la survie de la nation allemande et de la menace de disparition de sa tradition séculaire. Or, il est utile de souligner son aspect prophétique et pronostique, encore plus pertinent aujourd’hui, à la veille d’un grand tournant historique et civilisationnel. « Toute vraie tradition porte en elle-même sa propre fin : l’immanence de la fin est la condition sine qua non de l’histoire, dont le fondement repose sur une conception tragique de la vie. Lorsque la tradition et l’« âme » perdent leur puissance, sonne l’heure de la civilisation, qui est aussi celle du déclin » ( O.Spengler).  S'instaure ainsi un parallélisme historique, celui qui se dessine de nos jours entre les deux Occidents, l'Europe et l’Amérique et celui qui a existé dans l’antiquité gréco-romaine avec Athènes et Rome, marquant à la fois la continuité et la rupture. « Graecia capta ferum victorem cepit et artes intulit agresti Latio », avait déjà rappelé Horace (La Grèce soumise, soumit son farouche vainqueur et porta les arts dans le rustique Latium..).  Or, dans le monde moderne, l'immanence de la fin s’est manifestée, d'après Spengler, dans le monde moderne, au moment où l’idéologie du progrès et les philosophies optimistes (Comte, Spencer, Marx) battaient leur plein et se dessinait la conjonction, en une seule menace, de l'ennemi extérieur et de l'ennemi intérieur. En Occident, la civilisation s'est identifiée sociologiquement à la domination de la bourgeoisie, politiquement à la victoire du parlementarisme et des partis, économiquement à la prédominance de l’argent. Spengler, héritier pessimiste d'une conception romantique de l'histoire, s’oppose à la causalité, comme explication et comme connaissance, car la civilisation, soumise au règne de la causalité, n’a plus d’histoire. A la logique de la prééminence d'un facteur explicatif déterminant et unique, l’économique, il oppose la logique du destin. « La considération de l’histoire – la connaissance des hommes, étendue au passé et à l’avenir, le sens inné des personnes et des situations, de ce qui était nécessaire, de ce qui devait exister, ce type de connaissance est une connaissance historique. A preuve, il partage avec Nietzsche l’idée que la vie est toujours supérieure à l’intellect, puisque la vie ne connaît ni système, ni programme, ni raison. « Une culture meurt quand l’âme a réalisé la somme entière de ses possibilités », écrit-il , en proposant ainsi une image célèbre à Paul Valéry, qui déclarait en 1919 : « Nous autres civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles ». En effet Spengler, s’appuyait sur une conception  organique, cyclique et biologique de devenirs historiques des civilisations et  diagnostiquait  le déclin inéluctable de la civilisation occidentale, d'inspiration « faustienne », une civilisation de la volonté, soumise à l' idéologie du progrès, issue des Lumières et pouvant rebondir seulement comme « césarisme », autrement dit comme retour violent et radical du politique (Napoléon, Mussolini, Hitler)  Dans l'effacement actuel de l'Europe et dans la médiocrité de sa classe politique, s'achève la fin de la « raison historique »,  qui avait débuté avec la Renaissance et qui a proclamé d'abord la mort de Dieu, puis l'épuisement de l'autorité et enfin le chaos et la guerre. Une Europe, divisée sur sa place dans le monde, qui a oublié également, de nos jours, toute discipline morale et tout ascétisme purificateur.

Les civilisations et les grands antagonismes hégémoniques

Nous aborderons dans ce texte le sujet de l'effondrement de l'histoire européenne, par l'adoption du concept-clé d'Hégémonie qui subsume les trois dimensions, d'impérium, de civilisation et d'époque, assurant l'identité, l'organicité et le cadre d'une grande entreprise métaphysique et historique La mort proclamée de la civilisation de l'Europe, coexiste en effet avec la persistance de la République impériale des Etats-Unis, son héritière et sa protectrice, en attendant  le grand défi du siècle, le duel fatal  de l’Amérique et de la Chine, en rivalité occulte pour la nouvelle prééminence planétaire.  L'histoire de la modernité que l'Europe a incarné pendant cinq siècles s’est reconnue dans des lois universelles, applicables à tous et en tout lieu et dans des vérités uniques et évidentes, portées au cours de son hégémonie mondiale, par le progrès indéfini de la science et de la raison. Le récit de son pouvoir fut d'une portée immense car l’Europe y expliqua le monde, en son passé et en son devenir, avec la philosophie et avec la science, avec la richesse de la vie et de l’art, mais aussi avec l'esclavage et la soumission coloniale. Cette dernière, soutenue par la loi de la force, s'opposa aux sirènes des affranchissements idéologiques, le marxisme, le libéralisme et le christianisme. Mais les pulsions naturelles de la jalousie portèrent au XXème siècle les puissances rivales du continent France, Allemagne et Grande Bretagne, à deux grands conflits destructeurs et suicidaires, et peut-être à trois, et l'unité civilisationnelle du monde occidentale se brisa. Avec la venue de la post-modernité, l'optimisme se convertit en scepticisme et les grandes causes universelles, qui avaient mobilisées les masses sous la férule des démagogues et des tyrans, firent la découverte, après la chute de la bipolarité d'une autre perspective historique, celle de l'égalité des individus et des peuples et, davantage trompeuse, celle de la démocratie, expliquant l'histoire humaine par un nouveau principe et une nouvelle loi, celle du combat pour des droits. Or, derrière l'Etat de droit se cache l’Etat-Moloch, la pétrification administrative du Goulag, sans Sibérie et sans Soljenitsyne. Ce furent les intellectuels de la déconstruction et les immigrés plus récents, qui ouvrirent ainsi les rideaux de la post-modernité, avec la culture woke, la vengeance iconoclaste et la lutte des « races », jamais périmée. Ainsi l’âge post-moderne de l’Europe découvrira, avec la pluralité des mondes et des peuples, l'autre revers de la vérité immanente, le principe premier de la création, celui de la vie et de la mort, qui engendre partout la peur, avec la lutte des colosses, d’être laissée seule, face aux dangers politiques et désemparée, philosophiquement face au grand vide de la galaxie.

 

 Bruxelles, le 19 décembre 2O25