L'EUROPE, LA CHINE ET LE MONDE WESTPHALIEN

Auteur: 
Jacques LIPPERT
Date de publication: 
13/12/2011

Lorsqu'en 1648 les nations européennes lasses de décennies de guerre politico-religieuses,décidèrent par le Traité de Westphalie d'instaurer un nouvel ordre européen (Balance of Power), elles le fondèrent sur deux principes nécessaires à son bon fonctionnement :

  1. l'Etat-Nation est l'unité politique de base souveraine détentrice de la violence légitime.
  2. les dits Etats s'interdisent d'intervenir les uns chez les autres car y contrevenir provoque la guerre.

A chaque retour de la paix, les principes furent réaffirmés avec force(1815,1918,1945) et plus particulièrement en 1945 avec la création de l'ONU .Le Conseil de Sécurité et l'Assemblée Générale deviennent seuls détenteurs d'un droit d'intervention contre un Etat membre,selon les procédures prévues par la Charte.Pendant la guerre froide,un principe de non-intervention (non-dit) sur le territoire de l'autre Bloc accompagna l'équilibre de la terreur.

Au début des années '90 ,alors que le Monde tatonne à la recherche d'un nouvel ordre international apparaissent deux nouveaux phénomènes :les ONG devenues acteurs de la politique internationale, à la suite de MSF, Greenpeace etc., des Etats défaillants ou absents (Sierra Leone,parties de laRDC,Somalie), ces derniers constituant un cas d'école : Plus d'Etat remplacé par des bandes de toute nature, échec de l'intervention militaire en raison de l'absence d'autorité légitime et un peuple qui souffre de tous les maux. Bernard Kouchner met en place une intervention, qu'il théorisera en « droit d'ingérence humanitaire ». Bernard Henry Lévy à propos de la Bosnie et de la Tchétchénie, en viendra à légitimer et à réclamer l'intervention militaire de l'OTAN. Il faut noter que l'opinion publique occidentale a été choquée par la passivité des troupes onusiennes devant des massacres (Somalie,Rwanda,RDC orientale,Soudan)et que des procédures ont progressivement été mises en place:décision au niveau de l'ONU (ou approbation d'une initiative), éxécution sous le controle de l'OTAN de l'UE ou de l'OA avec les pays volontaires. On est ainsi passé de la « responsabilité de protéger » au »devoir de prévenir », comme justification de l'infraction au principe de souveraineté westphalien. Néanmoins,il faut bien constater que la théorisation ou la formalisation de ce type d'intervention reste difficile et controversé.S'il ne pose pas de problème aux réalistes(il s'agit de « hard power »), il n'en va pas de meme pour les tenants de l'idéalisme idéologique, qui n'admettent pas que des militaires s'adonnent à des taches humanitaires.Au fil du temps les interventions d'humanitaires,se politisèrent(Cote d'Ivoire,Lybie)

Meme les Etats-Unis, qui avec George W. Bush théorisèrent et pratiquèrent l'action préemptive - comme devoir de prévention -, éprouvèrent le besoin de justifications idéalistes. En effet, comme l'a souligné John Mearsheimer « Americans dislike Realism ». La lutte (guerre) contre le terrorisme,elle, trouve sa justification en elle meme, fruit de l'horreur de l'acte commis (Twin Towers, Madrid) et lui-meme acte de guerre. Mais dans les autres cas d'intervention, humanitaire ou politique,le malaise vient de la question : «  Pourquoi ici et pas là-bas ? ». Concrètement, pourquoi Tripoli et pas Damas? Car il s'agit quand meme d'atteinte à la souveraineté d'un Etat.

La Commission Evans-Sahnoun (2001) et le Secrétariat Général des Nations-Unies (2004) ont proposé la formulation suivante: »lorsque des Etats ne conduisent pas leurs affaires internes conformément aux standards internationaux reconnus,les autres Etats ont le droit d'intervenir ».C'est « la responsabilité de protéger ».En 2004, dans Foreign Affairs Lee Feinstein et Anne-Marie Slaughter proposèrent d'y ajouter « le droit de prévenir » qui requiert des Etats la vocation à intervenir pour em-pecher d'autres Etats d'obtenir des armes de destruction massive ou de s'en servir;

Il s'agit là de propositions pragmatiques nécessaires comme justifications,mais pas suffisantes au regard du droit international public en tant que règle de conduite permanente pour porter atteinte au principe westphalien de non-intervention ,base de l'ordre international actuel.

Ceci suffit-il à rendre une intervention légitime et légale ?Jusqu'où un régime doit-il violer l'habeas corpus et les droits civils et politiques de ses citoyens pour intervenir?Sur quels critères et avec quels moyens?Jusqu'où le ou les Etat(s) intervenant(s) peuvent-ils risquer la vie de leur soldats et justifier de leurs morts vis-à-vis de leurs opinions?

Une opération peut etre légitime -répondant aux critères – mais ne sera pas légale sans l'approbation des Nations-Unies.L'analyse détaillée des cas ivoirien et lybien devrait apporte à cet égard bien des enseignements pour affiner la théorie et la pratique sur le terrain.

Ces memes principes wesphaliens ont inspiré les Pères Fondateurs de l'Europe et les Traités subséquents.On en retrouve la trace dans le « Pacte de stabilité et de croissance » par lequel les Etats de la zone euro s'engageaient à ne pas dépasser des seuils chiffrés,notamment en matière de déficit et de dette publique (On sait comment ces belles intentions volèrent en éclat quand le couple franco-allemand franchit ces limites et que les sanctions ne furent jamais appliquées). La touche westphalienne consistait en ce qu'il n'était pas question de secourir les Etats fautifs ou défaillants par des « bail-out », ni de procéder à des transferts financiers « Horresco referens », c'eut été du fédéralisme dont personne ne voulait!Ce fut fait sous la pression grandissante et de plus en plus menaçante des investisseurs qu'il faut rassurer (dixit M.Van Rompuy).Dans l'urgence et puis la panique, le duumvirat Merkel - Sarkozy s'immisca dans la vie politique de deux Etats membres (Grèce et Italie). Leurs Parlements sont devenus des Chambres d'enregistrements de projets de politique économique et budgétaire (régalienne) élaborés et décidés ailleurs. Plus encore leurs éxécutifs furent fermement priés de démissionner en dehors de tout vote parlementaire, pour les remplacer par des technocrates formattés par la BCE. L'Histoire jugera les intentions et les circonstances, mais en science politique cela se qualifie de « coup d'Etat soft », au mépris des principes westphaliens.Comme les Institutions de Lisbonne n'ont pas fonctionné,le gouvernement économique de l'Union tient en une oligarchie Merkel-Sarkozy-Lagarde-Draghi-Barroso,tutelle de l'Italie et de la Grèce et d'autres demain.

Cette dérive péri-démocratique est dangereuse pour la démocratie formelle en Europe par le mépris qu'elle montre pour l'institution parlementaire nationale et européenne. Elle est de nature à renforcer les courants populistes. Par ailleurs, les peuples qui se voient imposer, comme la Grèce, plusieurs plans d'austérité, dont la première conséquence est un accroissement de la pauvreté et de la précarité, resteront-ils passifs et vers quelles extrèmes pourrait les porter leur colère?

Il ne faudrait pas qu'un futur fédéralisme ,s'il existe un jour, soit à l'image de la périphérie.

Le renoncement aux principes westphaliens par certains Etats membres, pour des raisons de conjoncture politico-économique et au gré des circonstances, contredit à l'esprit des traités et met en danger l'unité de l'UE. Nous avons défini plus haut les conditions auxquelles les dérogations sont acceptables sur la scène internationale et le domaine économique n'en fait pas partie.

A cet égard quelle est la position de la première puissance émergente ? Traditionnellement, la Chine se veut respectueuse de la règle westphalienne et de l'ordre international libéral rétabli en1945 par les vainqueurs, meme si le fait que les Etats-Unis en soient les promoteurs, puisse être gênant au niveau doctrinal.Genante également ,la rémférence implicite aux droits de l'homme contenue dans « la responsabilité de protéger ».Néanmoins, son intéret national et son sens politique la portent à poursuivre ses efforts pour s'insérer progressivement et surement dns le projet d'ordre mondial libéral,ce qui implique d'abandonner le projet concurrent du socialisme mondial, afin de s'intégrer dans le double projet de l'Occident. Le projet westphalien premièrement, qui au fil des siécles à développé des règles et des normes en vue de gérer les relations entre les Grandes Puissances et le fonctionnement des Etats modernes et qui a abouti à la création des Nations-Unies et du Conseil de Sécurité,organe westphalien par excellence. Le projet de Bretton Woods deuxièmement, consistant à batir un ordre international ouvert, mais régi par des normes, organisé sur la base du libre échange, de la sécurité collective, de la solidarité démocratique et de la coopération institutionnalisée.

Ces projets ne visent nullement à instaurer un gouvernement mondial, mais à aider à travers des institutions (OMS, OCDE, OIT etc) les gouvernements à gérer leur économie et leur société, dans le cadre d'un système international libéral « régulé ».

C'est à ce système large, profond, ouvert et souple que la Chine doit s'adapter et qu'elle considèrait au départ avec méfiance. Ainsi a-t-elle usé de son droit de véto (Birmanie) ou s'est elle abstenue lorqu'il s'agissait d'interventions armées et a-t-elle observé une abstention prudente dans les cas iranien, lybien, soudanais ou syrien non seulement parce que ses interets pouvaient y etre engagés, mais aussi parce que sa ligne diplomatique lui commande le respect des principes westphaliens et qu'elle attend la meme attitude des autres Puissances dans sa zone d'influence. Pour Pékin, le gouvrnement national est le seul détenteur légitime de la force sur son territoire, ce que le diplomate Wang Guangya résume ainsi: « a universally recognised norm of international law ». Et Jiang Zemin y voit meme la condition du maintien de la paix dans le monde (Nations-Unies,2000, voir Foreign Affairs vol.90,n°6 pp.172 et suiv.).

Politiquement la Chine veut se démarquer, en s'opposant ou s'abstenant, de toute intervention visant à un changement de régime sous la houlette des Etats-Unis. Diplomatquement ,elle ne peut ni ne veut s'opposer (affaire lybienne) à « la responsabilité de protéger », consciente que ce faisant elle s'intègre davantage dans la société internationale westphalienne évolutive du XX1 ème siècle...

Ainsi un système international conçu il y a 350 ans fait la preuve aujourd'hui encore de son adaptabilité fonctionnelle et de sa capacité unique à canaliser l'anarchie hobesienne.